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DIVERS - Fan fiction

Jack-115 Chronicles I : Origins

2246 heures, 23 septembre 2517 (Calendrier militaire) / localisation inconnue.


Jack fut brusquement réveillé par de puissantes secousses et ouvrit grand les yeux. Il se trouvait dans un petit compartiment en métal de couleur verte, de forme rectangulaire et faiblement éclairé par quelques lumières rouges discrètes. Il était assis dans un siège très inconfortable, principalement parce que celui-ci était plutôt conçu pour des adultes et non pas un enfant de six ans comme Jack. D’autres enfants du même âge étaient également assis comme lui sur d’autres sièges identiques, alignées contre deux parois opposées de ce compartiment, et ils étaient eux aussi en train de se réveiller. Il y en avait facilement une dizaine. Un vrombissement permanent emplissait ses oreilles, et il avait étrangement froid, comme s’il venait de passer plusieurs heures dans un frigo.

Cherchant à comprendre ce qui lui arrivait, Jack fouilla dans ses souvenirs afin d’essayer de découvrir comment il avait atterrit là. Mais la dernière chose dont il se rappelait, c’était de s’être mis au lit à l’heure que ses parents lui avaient demandé, sans oublier de faire sa toilette et de faire ses devoirs. Il s’était endormi de son sommeil habituel si profond, pour se réveiller ici, parmi ces autres enfants qu’il ne connaissait pas.

Mais il n’y avait pas que des enfants : deux adultes en uniformes de soldats étaient assis sur les sièges à l’une des extrémité du compartiment. Bizarrement, la seule porte de sortie visible se trouvait sur le mur opposé. Cependant, avant de pouvoir espérer quitter cet endroit, Jack devait d’abord découvrir comment se débarrasser de l’étrange ceinture de sécurité qui le retenait à son siège. Il porta alors ses petites mains au dispositif à la recherche d’un bouton ou d’un verrou qu’il pourrait déverrouiller.

- C’est inutile, fit une voix à sa gauche. J’ai déjà essayé.

Jack se tourna pour voir qui lui avait parlé et découvrir le visage d’une petite fille étrangement calme malgré la situation. Son apparence était tout aussi étrange : sa peau d’un blanc de neige faisait ressortir ses yeux aux pupilles rouges sombre qui ne témoignaient absolument aucune peur. Ses cheveux qui lui tombait jusqu’au bas du cou étaient d’une couleur bleu ciel magnifique qui renforçait encore plus son aspect curieux.

- Tu es sûre ? demanda Jack. On ne peut pas enlever ces trucs ?

- Je suis réveillée depuis plus d’une demi-heure, annonça l’enfant d’une voix détachée et froide. J’étais déjà consciente lorsque les soldats nous ont amené dans ce vaisseau. Ces ceintures sont impossibles à enlever sans la clé.

- On est dans un vaisseau ? Vraiment ?

- Oui.

Jack était impressionné par le calme dont faisait preuve cet fille alors qu’elle lui annonçait ces choses si terribles et si fantastiques à la fois. Il n’avait encore jamais été dans un vaisseau spatial, ni aucun autre engin qui aurait pu lui faire quitter le sol de Caladan, son monde natal. Est-ce que ses parents savaient où il se trouvait en ce moment ? Est-ce qu’ils allaient bien ?

- Où est-ce qu’on va ? demanda-t-il craintivement.

- Je ne sais pas.

Alors qu’ils se réveillaient peu à peu, plusieurs des autres enfants se mirent à s’affoler, certains d’entre eux pleurant en posant des questions aux soldats qui restaient muets et immobiles comme des statues. Jack lui aussi avait peur, mais il ne voulait pas le montrer, pas devant cette fille. De plus, il ne voulait pas faire comme les autres. Les autres l’avaient toujours méprisé, que ce soit ses camarades de classes, les enfants des voisins ou même ses cousins.

Jack Foster était fils unique, né d’une famille moyennement aisée de Caladan qui détenaient un petit restaurant dans la ville de Danavour. Mais ses parents craignaient tellement qu’il devienne un mauvais garçon comme tant d’autres qu’ils l’ont isolé des autres enfants le plus longtemps possible en l’éduquant eux-même. Ce n’est que peu après son cinquième anniversaire que les autorités, prétextant les mesures prises contre la rébellion, avaient obligé ses parents à l’inscrire à l’école publique. Jack avait appris beaucoup de choses de ses parents, bien plus que ce qu’un enfant normal n’apprenait à son âge, mais il n’avait pas appris comment se faire des amis. Son esprit d’élève model et sa méconnaissance des modes de pensée des jeunes de son âge l’avaient conduit à être détesté par les autres. Par simple effet miroir, il s’était mis à haïr les autres et à ne jamais rien faire comme eux, à être toujours différent, spécial, unique. Par ce que c’était tout ce qu’il avait.

Et là, devant ces enfants qui gesticulaient et pleuraient, il n’avait absolument pas envie de montrer qu’il avait peur.

- Tu as peur ? lui dit la fille en le regardant de ses yeux rouges inexpressifs.

- … oui.

- Alors pourquoi ne pleures-tu pas ? Les enfants pleurent quand ils ont peur.

- Je ne suis pas un enfant, répliqua-t-il comme il avait l’habitude de le faire quand on le comparait aux autres.

- Alors nous sommes deux. N’ai pas peur.

Et alors qu’elle prononçait ces mots, elle prit la main de Jack pour la serrer délicatement. Aussitôt, toutes les peurs du garçon s’évanouirent alors qu’il plongeait dans le regard serein de la petite fille.


- Je m’appelle Jack Foster, dit-il en souriant. Et toi ?

- Rei Ayanami.

Soudain, il y eut une légère secousse et le vrombissement qui emplissait le vaisseau s’arrêta. Quelques instants plus tard, le mur sur lequel il n’y avait aucune porte s’abaissa lentement dans un bruit semblable à celui d’une vitre électrique, et Jack comprit qu’il s’agissait en fait de la porte principale du vaisseau. Les soldats assis à côté quittèrent leurs sièges et commencèrent à retirer les sécurités sur les ceintures qui retenaient les enfants.

- Ne quittez pas la navette avant qu’on vous l’ait dit, annonça l’un d’eux d’une voix autoritaire.

Jack ne se sentit pas beaucoup mieux lorsque le soldat lui retira sa ceinture. Rei ne quitta même pas son siège lorsqu’elle fut libérée de son entrave, car elle savait qu’elle était toujours prisonnière, d’une certaine façon.

- OK les enfants ! dit l’adulte en uniforme lorsqu’il eut finit de tous les détacher. Vous pouvez sortir. Suivez-moi et ne vous écartez surtout pas !

Jack et Rei furent les derniers à quitter la navette, se tenant toujours la main comme s’ils étaient amis depuis toujours. La remarque du soldat était plutôt inutile, car il n’y avait aucun absolument moyen de s’éloigner : deux rangées de soldats en armes et armures formaient un couloir depuis l’accès du vaisseau jusqu’à la grande porte d’un bâtiment un peu plus loin. Le véritable mur d’uniforme ne permettait aucune échappatoire, et empêchait Jack de voir clairement où ils se trouvaient. La seule chose qu’il pouvait voir par-dessus leurs casques et les canons de leurs armes levées étaient le ciel bleu parsemé de nuage crémeux, et quelques oiseaux qui passaient par là.

Le bâtiment vers lequel les conduisait le militaire était sombre, froid et imposant. Même lorsqu’ils pénétrèrent à l’intérieur, cette impression ne disparut pas et tendait même à se renforcer au fur et à mesure qu’ils avançaient dans les couloirs. Alors qu’ils enchaînaient les intersections et les virages dans ce bâtiment, un autre groupe d’enfant les rejoignit, tous du même âge qu’eux et tous aussi apeurés.

Ils aboutirent finalement au sommet d’un immense amphithéâtre constitué par des rangées de gradins gris ardoise concentriques et montés en escaliers descendant vers une petite estrade. Plusieurs spots de lumière convergeaient depuis le plafond vers cette estrade, illuminant un homme en uniforme noir et une dame en blouse blanche que Jack reconnu immédiatement. Et à en juger par les regards que lançaient les autres enfants dans sa direction, ils semblaient la connaître tous eux aussi.

Jack l’avait rencontré sur Caladan, il y a quelques mois de cela. Elle l’avait approché alors qu’il patientait tranquillement dans la coure de l’école pendant la récréation, observant les autres enfants et réfléchissant à comment il allait pouvoir les supporter. Elle lui avait posé quelques questions sur lui, sur sa vie à l’école et sur ce qu’il aimait, puis elle était partie. Jack ne s’était pas attendu une seule seconde à ce que la seconde fois qu’il la rencontrerait, ce serait dans de telles circonstances.

Trois autres groupes d’enfants avaient également mis les pieds dans l’amphithéâtre depuis trois autres portes, chacun menés par un homme en uniforme. Ils descendirent les escaliers entre les gradins et ont leur ordonna de prendre place. Jack et Rei s’arrangèrent pour rester à l’écart des autres enfants car ils ne voulaient pas se mêler à eux. Et après quelques secondes qui parurent beaucoup plus long que ça, la dame en blanc prononça ces mots qui restèrent gravés à jamais dans les mémoires de ces enfants :

- En vertu du Code Naval 45812, vous êtes par la présente enrôlés dans le Projet Spécial du CSNU, nom de code SPARTAN-II.

SERMENT


0100 heures, 24 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Jack n’arrivait pas à dormir. Ce lit était si dur qu’il avait l’impression de dormir à même le sol et sa couverture le grattait. De plus, il ne se sentait absolument pas fatigué du tout. Quelle que soit la position dans laquelle il se mettait, rien à faire, le sommeil ne venait pas. Les pensées et les questions fusaient de partout dans son esprit à propos de ses parents, des soldats, de cette dame en blouse blanche et de son programme. Jack n’avait pas comprit tout ce qu’elle avait dit, mais il savait au moins ceci : sa vie allait être très différente à partir de cet instant. Celle de Rei aussi.
Il regrettait de n’avoir pas eut beaucoup de temps pour parler avec elle. Après le discourt de la dame, les soldats les ayant conduit à une grande salle où ils avaient rapidement mangé, avant d’être amenés à ce dortoir où on leur avait assigné leur lit. Par chance, le lit de Rei se trouvant juste à la droite du sien, mais les militaires leur avaient ordonné de se coucher en silence, sans même leur donner à manger ou leur permettre de se laver. Jack sentait perler sur lui la sueur accumulée pendant qu’il cherchait à s’endormir, ce qui le rendait extrêmement inconfortable. Il aurait tant voulu parler encore avec Rei, savoir d’où elle venait, ce qu’elle aimait, qui étaient ses parents…

Une heure s’écoula avant qu’il n’abandonne l’idée de s’endormir et décide de quitter son lit.

Cet immense dortoir était rempli par trois rangées de ces lits militaires beaucoup trop grand pour eux, sur lesquels les soixante-quinze enfants avaient été répartis, les soldats leur attribuant à chacun un lit bien précis comme si cela avait une importance capitale. Autour de lui, les autres enfants dormaient tous d’un sommeil profond, aussi tranquille que s’ils se trouvaient chez eux et que les évènements de la veille ne s’étaient jamais déroulés.

- Tu n’arrives pas à dormir non plus ? fit la voix de Rei à côté de lui.

La petite fille était immobile dans son lit, droite comme un pique, ses yeux rouges grand ouverts fixés vers un point du plafond. Elle avait ses bras posés sur la couverture dans l’axe du corps, ce qui donnait à Jack l’impression d’une morte dans son cercueil.

- Non, répondit-il doucement, de peur que les soldats ne l’entendent. Et toi ?

- Ne t'inquiète pas. C’est normal de ne pas vouloir dormir après être passé dans le frigo.

- Le frigo ? répéta Jack.

- C’est comme ça que les adultes appellent le tube dans lequel on te met pendant les très longs voyages dans l’espace. Ça force ta vie à ralentir, donc c’est un peu comme dormir, car ton corps ne fait rien pendant longtemps.

- Mais les autres ? Pourquoi est-ce qu’ils dorment quand même ?

- Parce qu’ils ne sont pas habitués au frigo. Ça doit être la première fois pour eux. Mais dès la deuxième fois, ton corps sait qu’il est reposé après. Donc comme moi, tu as déjà été placé dans le frigo, même si tu ne t’en souviens pas.

Le garçon était impressionné par les connaissances de Rei, qui était incontestablement l’enfant la plus intelligente et la plus cultivée qu’il ais jamais rencontrée. Cependant il y avait quelque chose en elle qui le mettait mal à l’aise. Son regard vide, son visage inexpressif, et la façon détachée avec laquelle elle parlait lui donnaient l'allure d’un fantôme ou d’un robot. Jack avait eut l’occasion de voir des visages d’Intelligence Artificielles basiques lors de certains de ses cours à l’école, et quelque part, Rei lui rappelait ces entités informatiques.

- Tu te sens bien ? demanda la fille en tournant subitement le regard vers lui.

- … Oui. C’est seulement que… tu es si différente des autres enfants que je connais.

- C’est normal : quand on rencontre de gros problèmes, on doit grandir à l’intérieur pour survivre. Toi aussi, tu dois avoir eut des problèmes, non ?

Jack ne répondit pas, laissant le silence répondre à sa place. Toutefois, il se doutait bien que sa petite vie difficile d’enfant solitaire n’était probablement rien à côté des « problèmes » que Rei avait rencontré. Et il redoutait que cela les sépare. Pour la première fois de sa vie, il avait rencontré quelqu’un de son âge qui lui ressemblait. Cela valait-il la peine de risquer cette relation encore fragile que de poser une question sur son passé ?

Soudain, Jack entendit du bruit dans le couloir qui menait au dortoir. Avec précipitation, il se remit dans son lit. Quelques instants après, la porte du couloir s’ouvrit lentement et un homme entra dans la pièce, pointa le faisceau d’une lampe torche sur les têtes de quelques lits, puis repartit. Jack n’eut pas le courage de sortir de son lit à nouveau. Il tourna cependant la tête vers Rei, qui n’avait pas cessé de le regarder. Avant qu’il puisse dire quoi que ce soit, elle prononça de sa voix froide :

- Je n’ai jamais eu d’amis. Et toi ?

- … Non.

- Tu veux être mon ami ?

- … Oui.

Rei porta alors la main gauche à sa bouche et mordit sa paume de toutes ses forces, entre le pouce et l’index, jusqu’à la faire saigner. Puis elle tendit cette main ensanglantée à Jack en disant :

- Fais pareil et prend ma main. Ce sera une promesse sur le sang.

- Pourquoi le sang ?

- Parce qu’en mêlant nos sangs, nous lions nos vies ensembles. Nous deviendrons amis pour la vie. Ce n’est pas ce que tu veux ?

Jack ne prit qu’une seule seconde de réflexion. Puis il mordit la paume de sa main droite si fort qu’il eut l’impression de la dévorer. Sa peau avait un goût salé et lui donnait l’impression de mordre un steack pas assez cuit qui refusait de se laisser couper. La douleur qu’il ressentait était grande, mais il la supporta en silence, fermant les yeux pour penser à autre chose et éloigner son esprit de cet instant. Il ne voulait pas paraître faible devant Rei qui avait enduré cette même souffrance sans broncher, ni attirer l’attention du garde en criant. Le goût du sang dans sa bouche lui indiqua qu’il avait réussi et il relâcha l’emprise de sa mâchoire.

Dans la demi obscurité qui emplissait la pièce, il ne pouvait voir clairement sa blessure, mais il la sentait jusqu’au plus profond de lui. Il la ressentit encore plus fort lorsqu’il tendit sa main et serra celle de Rei, laissant leur sang se mêler librement comme l’eau de deux rivières se rejoignant brusquement.

- Amis, dit-il.

- Pour la vie, rajouta Rei.

Les deux enfants restèrent ainsi pendant des heures, mains serrées délicatement au-dessus du vide entre leurs lits, chacun ayant son regard plongé dans celui de l’autre pour y discerner son âme, et sans dire un seul mot.


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Ils furent tirés de leur rêverie éveillée lorsqu’un homme déboula dans la pièce en faisant claquer la porte. Il était ni grand, ni musclé, ses cheveux noirs coupés courts grisonnaient au niveau de ses tempes et il portait une tenue de camouflage vert. D’une voix forte qui avait l’habitude d’être obéie, il hurla aux enfants :

- Debout, recrues !

Jack et Rei réagirent immédiatement, contrairement aux autres enfants qui étaient encore trop endormis pour réagir. Un garçon non loin de Jack attira l’attention de l’homme qui s’approcha de lui en lui lançant :

- J’ai dit debout, recrue ! Tu sais ce que sa signifie, debout ?

Des dizaines d’autres hommes entrèrent subitement à leur tour dans la pièce et commencèrent à réveiller les enfants qui, pour la plupart, mirent trop longtemps à comprendre ce qui se passaient. Les hommes maniaient des matraques argentées qui lançaient des étincelles lorsqu’ils les pointaient sur les enfants et ces derniers n’eurent pas besoin d’un deuxième choc pour se mettre à obéir docilement.

- Je suis l’Adjudant-chef Mendez, cria le soldat en tenue de camouflage. Ces hommes sont vos instructeurs. Vous ferez exactement ce que l’on vous dira en toute occasion.

Il désigna le couloir par lequel il était venu :

- Les douches sont à l’arrière. Vous allez tous vous laver et revenir ici pour vous habiller.

Puis il ouvrit une grande malle de métal noir qui se trouvait au pied du lit de l’enfant qu’il avait interpellé, pour en sortir une tenue de sport grise. Il semblait y avoir des inscriptions dessus, mais Jack ne parvint pas à les lire depuis là où il se trouvait. Le même genre de malle était disposé au pied de tous les autres lits, et Jack ouvrit celle se trouvant près du sien. La tenue était identique, mais sur la poitrine il put lire JACK-115.

Il se tourna vers Rei qui avait elle aussi examiné ses nouveaux habits. Elle lui présenta le haut de façon à ce qu’il puisse lire les inscriptions : REI-114.

AMIS


0507 heures, 24 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Alors qu’il se trouvait encore sous la douche, laissant le flot continue d’eau tiède lui masser la nuque et faire disparaître les courbatures héritées de cette nuit agitée, Jack ne pouvait penser qu’à Rei. Jamais il n’avait ressentit une telle proximité auparavant, une telle ressemblance avec quelqu’un. Et plus encore, il n'avait jamais eu d’ami.
Il porta alors son regard sur sa main droite et contempla sa blessure d’où sortait encore un mince filet de sang se mélangeant à l’eau de la douche. Ce n’était pas sa première blessure, loin de là, mais celle-ci possédait un sens beaucoup plus profond que toutes les autres qu’il avait pu recevoir en se battant avec les enfants de son école. Cette blessure-ci, il l’avait voulu, non pas pour se protéger de quelqu'un, mais pour montrer à Rei qu’il serait son ami… pour la vie. Il espéra sincèrement que la cicatrice qu’il hériterait ainsi ne disparaîtrait jamais, puis il coupa l’arrivée d’eau.

Afin de mettre quelque peu les enfants à l’aise les soldats avaient aménagé les douches militaires, qui étaient à l’origine mixtes et communes, en créant de petits boxes individuels pour préserver leur intimité. Cependant, certains d’entre eux profitèrent de ce bref moment de répit pour s’adonner à des jeux d’eau ou à de maigres plaisanteries, bien que ce ne soit que pour tenter d’oublier que leurs vies avaient changé à jamais. Jack passa au milieu de plusieurs gamins en train de se courir après, risquant la chute à chacun de leur pas sur le carrelage mouillé de la vaste pièce.

Mais alors qu’il rejoignait son lit de camp, une petite serviette de bain enroulée autour de la taille, il vit l’adjudant-chef Mendez parler avec Rei, qui semblait n’avoir toujours pas pris sa douche. Jack était le premier à revenir s’habiller, et il se douta que l’homme avait pris son amie à part pendant ces dernières minutes. Lorsqu’il passa à côté d’eux en évitant le regard de l’adulte, il put entendre quelques paroles :

- Donc tu as bien compris ce que j’ai dit ? fit Mendez d’une voix menaçante. Tant que tu te tiens-toi tranquille et que tu fais ce qu’on te dit, tout se passera bien. Mais si j’ai le moindre doute que tu tentes quelque chose, je t’étrangle de mes propres mains. Est-ce que j’ai besoin de me répéter ?

- Non monsieur, répondit Rei sans sourciller.

Mendez jeta un regard suspect à Jack qui fit bien attention à ne pas montrer qu’il écoutait, enfilant tranquillement ses habits comme on le lui avait ordonné plus tôt. Puis, l’adjudant-chef quitta la pièce en laissant les deux enfants seuls. Une minute entière passa avant que Jack se décide à parler :

- Qu’est-ce qu’il te voulait ?

- Juste me dire qu'il n'aime pas la façon dont je le regarde. Il a l'impression que je le provoque. Beaucoup d'adultes réagissent de la même manière lorsqu'ils me voient pour la première fois.

Bien que les paroles de Rei soient parfaitement compréhensibles, il y avait quelque chose dans cette histoire qui ne paraissait pas clair au garçon : la menace de Mendez était beaucoup trop grande. Bien qu'il n'ait pas encore eu le temps de bien connaître l'adjudant-chef Mendez, Jack ne pensait pas que l'adjudant-chef soit du genre à tuer quelqu'un pour si peu. Mais il n'avait aucune raison de douter de Rei. Après tout, ils étaient amis.

Lorsque tous les enfants eurent fini de se doucher et de s'habiller, Mendez les réuni :

- Dehors, recrues ! En avant... marche !

Jack, Rei et les autres enfants n'eurent pas le temps de réfléchir, les instructeurs s'approchant déjà avec leurs matraques pour les pousser hors des baraquements. A l'opposé du couloir menant aux douche se trouvait une grande porte qui s'ouvrit sur l'extérieur dans un bruit de mécanique. L'aube pointait à peine par-dessus la forêt de sapin qui entourait le complexe et une petite brise fraîche commençait à lever le léger brouillage qui s'était installé pendant la nuit. L'air froid mordait la peau et la rosée des herbes inondait déjà les chaussure de sport des enfants. D'autres bâtiments semblables à celui dont ils sortaient étaient disposées en plusieurs rangées dont Jack ne parvint pas à voir les extrémités, ce qui laissait imaginer que le complexe devait être d'une taille gigantesque.

Ses pensées furent interrompues par un bruit assourdissant au-dessus de sa tête. Il leva les yeux juste à temps pour voir deux avions de chasse passer dans le ciel à une vitesse stupéfiante pour rapidement être réduits à de minuscules points au-dessus de l'horizon montagneux. Le garçon se demanda si cet endroit était encore mieux protégé que la base militaire ou travaillait son père...

Mendez conduisit le groupe vers au centre d'une large clairière dégagée où il s'arrêta pour déclarer :

- Vous allez former cinq rangées égales. Avec quinze recrues dans chaque.

Sans attendre le reste des instructions, Rei se plaça devant Jack et d'autres enfants se mirent alors derrière eux pour former un rang. Quelques uns eurent du mal à se répartir, attirant aussitôt l'attention des instructeurs dont les matraques émirent des étincelles. En voyant les visages tordus de douleurs des garçons et filles touchés par ces instruments, Jack n'avait pas particulièrement envie d'expérimenter cette sensation.

- Sautez sur place ! cria soudain Mendez. En comptant jusqu'à cent. Prêts ? Go.

Par pur réflexe, Jack obéit. Il sauta comme il n'avait jamais sauté auparavant, jusqu'à sentir les muscles de ses jambes le brûler de l'intérieur et son corps tout entier être recouvert de sueur. Le froid matinal ne le gênait plus, désormais, et se révéla brusquement être un précieux ami alors que le vent frais parcourait son visage comme un souffle de vie. Devant lui, Rei semblait avoir beaucoup de mal à tenir la cadence, respirant de plus en plus irrégulièrement et presque avec affolement. Mais elle tenait bon. Elle ne voulait pas devenir la cible des instructeurs et de leurs matraques électriques. Ce fut pour elle comme une libération lorsque Mendez annonça les derniers mouvements :

- Quatre-vingt-dix-hui, quatre-vingt-dix-neuf, cent.

Jack n'aurait jamais pensé que le simple fait de sauter puisse le fatiguer autant. Cependant, sa situation était loin d'être aussi grave que celle de Rei : la jeune fille était épuisée, tenant à peine sur ses genoux, respirant si fort qu'elle paraissait sur le point de cracher ses poumons. Son repos ne fut pas long, car l'adjudant-chef avait déjà une suite pour ce joyeux programme :

- Maintenant des redressements assis ! Comptez jusqu'à cent. Et pas de lambins ! Le premier qui s'arrête devra faire deux fois le tour du complexe, avant de revenir pour faire deux cent flexions.

La vision que Jack avait eut des dimensions de la base était une motivation suffisante pour qu'il accomplisse ce nouvel exercice sans chercher à se plaindre. Ses jambes le faisaient souffrir, certes, mais pas assez pour qu'il abandonne. La détermination et l'excellente condition physique qu'il avait acquis en affrontant les enfants de son école lui donnait la force de continuer... mais Rei n'avait pas la même chance.

La jeune fille mettait de plus en plus de temps pour se relever à chaque fois, jusqu'à ce qu'elle n'arrive plus à se relever du tout. En un instant, un instructeur s'approcha d'elle et la toucha à l'épaule avec sa matraque. La décharge qui en résultat l'envoya au sol où elle s'agita nerveusement, mais son regard n'avait pas perdu de son sérieux.

- Toi ! fit l'instructeur à Rei. Tu me suis et au trot !

Rei commença à se relever et tourna ses yeux rouges vers Jack qui continuait à effectuer ses redressements. Leurs regards restèrent figés l'un vers l'autre l'espace d'une seconde avant que la matraque électrique ne frappe la jeune fille à nouveau.

- Tu as entendu ce que je t'ai dit ? hurla l'homme en uniforme. Dépêche-toi !

Jack se demanda qu'est-ce qu'il pouvait bien faire. Rei n'arriverai jamais à faire deux fois le tour du complexe, et encore moins à faire ensuite deux cent flexions, pas toute seule. Il n'osa même pas imaginer ce qui attendait son amie si elle ne parvenait pas à passer ces épreuves. Jusque là, les soldats avaient été extrêmement violents avec eux, quelque que soit l'écart qu'ils leur reprochait, et il était difficile d'imaginer qu'ils puissent être pires.

C'est pourquoi Jack fit semblant de s'effondrer et refusa de se relever. L'instructeur le remarqua aussitôt et pointa sa matraque vers le garçon :

- Toi aussi, tu viens avec moi.

Se redressant suffisamment lentement pour rendre sa comédie crédible, Jack saisit la main de Rei et l'aida à se remettre sur ses pieds. Ensembles, ils suivirent l'instructeur qui les guida autour du complexe à une allure difficilement soutenable par des enfants de leur âge. Jack tenait la main de son amie alors qu'ils longeaient les baraquements, puis une série de hangars, et d'autres bâtiments que le garçon ne parvint pas à identifier. Cette épreuve d'endurance semblait mieux convenir à Rei qui avait retrouvé un souffle régulier, et dont les pas étaient plus assurés. Mais le complexe était vraiment gigantesque. Jack ne sentait déjà plus ses jambes lorsqu'ils repassaient devant les baraquements, terminant ainsi leur premier tour. Il était parfaitement incapable de se représenter la distance qu'ils avaient parcouru.

Rei avait tenu bravement jusque là, mais c'en était trop. Son rythme redevint chaotique et Jack du la relever plusieurs fois pour lui éviter d'être frappée à nouveau par l'instructeur. Malgré cela, le garçon comprenait qu'il ne parviendrait jamais à la motiver suffisamment tout le long de leur second tour. Et même s'ils y parvenaient, la suite avait de fortes chances d'achever Rei d'une manière ou d'une autre.

Au bout d'un moment, la jeune fille fini par s'effondrer au sol brusquement, comme si ses jambes venaient d'être fauchées par une force invisible. Elle s'était tellement forcée que son corps avait emmagasiné une énorme fatigue, qui venait de briser sa volonté comme une forteresse de cristal. Mais même dans sa chute, elle n'avait pas lâché la main de Jack qui qui chercha à la relever une nouvelle fois, en vain.

L'instructeur ne lui laissa pas le temps de réessayer et s'approcha à grands pas. Ses yeux luisaient d'une lueur malsaine qui pétrifia Jack... mais pas Rei.

Lorsque l'homme se pencha sur elle, la jeune fille envoya violemment la pointe de son pied sur le genoux de sa jambe droite, qui était complètement tendue. L'articulation se brisa aussitôt et le membre se plia en arrière dans un horrible craquement. Le simple son des os désarticulés arracha à Jack un frisson de terreur, juste avant que le cri de douleur lâché par l'instructeur le fasse atrocement souffrir à l'intérieur. Il avait déjà frappé beaucoup d'autres enfants alors qu'il était à l'école, pour se défendre, mais jamais il n'avait blessé quelqu'un à ce point même dans ses pires moments de colère. Le simple fait d'imaginer qu'une personne aussi épuisée que Rei puisse faire de tels dégâts était une vision assez effrayante.

L'instructeur s'était complètement effondré et se tordait de douleur en tenant sa jambe meurtrie des deux mains, incapable de penser à autre chose. Il proférait des jurons par dizaines, beaucoup d'entre eux étant inconnus de Jack qui ne chercha pas à les retenir. Sa matraque électrique était tombée dans l'herbe mais Rei n'y fit pas attention. Il lui fallut quelques secondes pour se remettre sur ses jambes et s'approcher de l'homme. Sa main droite avait pris une forme bizarre, tous ses doigts étant rétractés à l'exception de l'index et du majeur qui étaient tendus et joins ensemble, un peu comme la façon dont certains enfants imitait la forme d'un pistolet.

- R... Rei... balbutia Jack, incapable de bouger devant cet horrible spectacle. Qu'est-ce que tu fais ?

Mais avant que la jeune fille ne puisse esquisser un mouvement, une dizaine de soldats surgit de la forêt environnante et pointèrent leurs armes automatiques sur elle. Rei se figea comme si son corps venait de se cristalliser.

- Plus un geste ! hurla l'un des soldats avant de s'approcher prudemment.

Tout en maintenant son arme pointée sur Rei, l'homme sortit une paire de menottes. Son corps tout entier trahissait une peur immense tandis qu'il avançait comme quelqu'un sur le point de réveiller un ours ou de désarmer une bombe. Alors qu'il observait la scène en se demandant ce qu'il pouvait bien faire, Jack fut plaqué à terre par une main puissante tandis qu'on lui attachait les bras dans le dos. Le garçon lâcha un cri de surprise qui fit réagir Rei, et au moment même où elle tournait la tête pour voir ce qui arrivait à son ami... un soldat tira sur elle.

La jeune fille fut projetée en arrière par l'impact de la balle et tomba dans l'herbe lourdement sans un cri. Jack eut l'impression qu'on venait de lui arracher le cœur.

- REI ! NOOON !

- Ta gueule, recrue ! répliqua le soldat qui le maintenait au sol.

- Vous l'avez tuée !

- Ferme-la ! Elle est pas morte : c'était une balle étourdissante.

Jack fut rassuré, mais pas assez pour se sentir mieux. De là où il se trouvait, il ne parvenait pas à voir Rei, ses yeux étant voilés par les herbes grasses encore fraîches. L'inquiétude continuait de le gagner. Qu'allait-il se passer désormais ? Qu'allait-il advenir de Rei ?

C'est alors qu'un camion militaire apparut et s'arrêta non loin. Jack fut alors soulevé de terre par un soldat qui l'entraîna à l'arrière du véhicule tandis qu'un autre y amenait Rei. La jeune fille était inconsciente et on lui avait solidement attaché les mains et les pieds. Quatre soldats montèrent également dans le camion, l'arme à la main, avant que l'engin ne se mette en route. Ils avaient des armures lourdes noires avec des casques complets qui dissimulaient leurs visages, ce qui leur donnait l'apparence de machines froides et inhumaines.

- Où va-t-on ? demanda Jack craintivement.

- Voir l'adjudant-chef, répondit l'un d'eux avec un semblant de compassion. Ta petite amie va passer un sale quart d'heure. Et tu ferais mieux de te préparer à encaisser toi aussi, recrue.

MENSONGES


1157 heures, 24 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système EpsilonEridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Jack avait l'impression d'être aveugle tellement il faisait noir. Il lui semblait que cela faisait des jours que Rei et lui avaient été enfermés dans cette pièce, son estomac criant famine avec acharnement depuis déjà plusieurs heures. Il n'y avait aucune fenêtre, pas la moindre ouverture sur l'extérieur, seulement une grande porte à travers laquelle ne filtrait aucune lumière. Le garçon se rappelait cependant la configuration de la pièce lorsque les soldats les avaient conduits ici : c'était un minuscule cube juste assez grand pour contenir une table avec deux chaises positionnées face à la porte d'entrée. Un avait attaché Jack à l'une des chaises et Rei à l'autre. Il n'avait pas fallut longtemps au garçon pour comprendre que ces meubles étaient clouées au sol. Et depuis que les soldats étaient partis, personnes n'était venu les chercher.
Le garçon avait tenté de réveiller Rei, même en criant, mais la jeune fille ne réagissait pas. Elle était toujours inconsciente. Le simple fait de passer autant de temps seul avec elle sans pouvoir même lui parler le faisait atrocement souffrir au plus profond de lui-même, bien plus que cette impression d'être enfermé et d'avoir été oublié par le monde entier.

Soudain, la porte de la cellule s'ouvrit, et la silhouette de l'adjudant-chef Mendez se profila dans la lumière de l'extérieur. Jack ne parvenait pas à voir l'expression sur le visage du militaire, mais celui-ci avait l'air sérieusement en colère, serrant ses poings nerveusement comme pour écraser quelque chose. Mendez fit deux pas dans la direction des enfants, puis se pencha au-dessus de la table et gifla Rei avec une force non retenue pour la réveiller.

- Tu te rappelles de ce que je t'ai dit ce matin ? lâcha l'homme avec rage. Maintenant donne-moi une seule bonne raison pour ne pas te tuer tout de suite !

- Ne touchez pas à Rei ! cria Jack. Si vous voulez frapper quelqu'un, frappez-moi !

- Tu parleras lorsque je t'en donnerai l'ordre, recrue, et pas avant !

- Je m'en fiche ! Faites ce que vous voulez mais ne faites plus de mal à Rei !

Le soldat fit un pas en arrière et plaça ses mains derrière son dos.

- J'admire ton courage, recrue 115. Mais elle ne vaut pas la peine que tu prennes tous ces risques : c'est une tueuse.

- Quoi ? Non... vous mentez !

- Ce n'est pas un coup de chance si elle a réussi à casser la jambe de votre instructeurs, continua Mendez. Si elle y est parvenu, c'est parce qu'elle savait exactement comment s'y prendre. Parce qu'on le lui a appris. Tout comme on lui a appris à tuer et à assassiner n'importe qui.

Jack avait l'impression que le monde entier s'écroulait autour de lui et qu'il tombait dans un gouffre sans fond, d'une noirceur plus grande et plus abominable que celle dans laquelle il avait été plongé durant ces dernières heures. L'obscurité l'enveloppait de nouveau, enfermant son esprit dans un ouragan de douleur. Pendant un instant, il chercha à se convaincre que l'homme mentait, qu'il cherchait une excuse pour en vouloir à Rei, mais au fond de lui Jack savait qu'il disait la vérité. Cela expliquait tout : la nature froide et détachée de Rei, son intelligence, sa façon de parler et le geste qu'elle avait esquissé avant d'être arrêtée par les militaires. Tout ceci donna l'impression à Jack de se retrouver complètement nu au milieu d'une tempête de grêle.

Soudain, une autre personne pénétra dans la minuscule pièce : la dame en blouse blanche. Le garçon la reconnu immédiatement, le souvenir de leur rencontre sur Caladan étant encore vif malgré le temps passé.

- Adjudant-chef, dit la femme. Je peux vous parler un instant ?

- Comme vous voudrez docteur, lâcha Mendez avec une pointe d'amertume.

Les deux adultes sortirent et refermèrent la porte derrière eux. Contrairement à la première fois, les ténèbres soignèrent quelque peu les plaies de Jack qui était au bord des larmes. A ses côtés, Rei ne disait rien et restait impassible. Que devait-il faire ? Est-ce que cela valait encore la peine de lui poser des questions ? Elle lui avait déjà menti une fois, à propos des paroles de l'adjudant-chef, et Jack n'avait aucun moyen d'être sûr qu'elle dirait la vérité cette fois-ci. Il était seul à nouveau. Tout seul.

Une heure s'écoula sans que personne d'autre ne vienne ou qu'aucun des deux enfants n'osent prononcer un seul mot. Jack n'en avait pas la force et Rei ne semblait pas vouloir parler. Les mots de l'adjudant-chef résonnaient dans l'esprit du garçon qui se haïssait pour avoir été aussi stupide et naïf. Il s'était lié d'amitié avec un monstre, un démon ayant l'apparence d'une petite fille. Il avait conclu un pacte de sang avec elle. Comment allait-il s'en sortir ? Et qu'est-ce que l'adjudant-chef allait faire d'eux ?

- Tu ne veux plus me parler ? demanda soudain Rei de sa voix monotone.

- Qu'est-ce que tu veux que je dise ? sanglota Jack. Que j'ai mal parce que tu m'as menti, que tu m'as caché que tu étais une tueuse ? Oui, j'ai mal ! Tu es contente, maintenant ?

Rei ne répondit pas. Les sanglots de Jack continuèrent de retentirent entre les murs de la cellules pendant de longs instants, avant que la petite fille ne dise :

- Tu te rappelles ce que tu m'as dit, lorsque je t'ai parlé des enfants et de pleurer ?

- Oui, répondit-il en séchant ses larmes. « Je ne suis pas un enfant ».

- Alors pourquoi pleure-tu maintenant ?

- Parce que j'ai trop mal.

Jack voulait disparaître, s'évanouir dans l'obscurité pour quitter ce monde qui le rejetait. La dame en blouse blanche leur avait dit qu'ils ne reverraient plus jamais leurs parents, qu'ils ne retourneraient plus jamais dans leurs maisons. Et maintenant, alors qu'il avait l'impression d'avoir trouvé une amie, une âme sœur qui l'aiderait à affronter tous les durs moments qui allaient suivre désormais, celle-ci se révélait être une toute autre personne. Une personne diabolique. Il avait l'impression que le destin s'acharnait sur lui pour le torturer de l'intérieur avant de le forcer à s'autodétruire.

C'est alors que Rei prononça ces mots avec une hésitation qui indiquait clairement qu'elle était honnête :

- Jack... je... je ne comprends pas. Qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi est-ce que tout le monde a peur de moi ici ?

Le garçon cessa brusquement de pleurer sous l'effet de la surprise.

- Qu'est-ce que tu dis ?

- Là où je vivais, je ne faisais peur à personne, et je pouvais tuer quelqu'un sans me faire punir. Pourquoi est-ce que c'est différent ici ? Qu'est-ce qui se passe ?

Jack était terrorisé. Les paroles de Mendez l'avaient déjà profondément affecté, mais d'entendre Rei elle-même parler de tuer quelqu'un le plaçait devant un gouffre de folie où il risquait de tomber à tout moment sans espoir d'en ressortir. Le noir total dans lequel Rei et lui étaient plongés ne faisait qu'amplifier cette peur qui l'envahissait jusqu'aux os. Ses mains se mirent à trembler, d'un tremblement incontrôlable qui se répandit comme un virus le long de ses bras puis le long de son cou. Chaque seconde le faisait se pencher un peu plus par-dessus ce gouffre...

Soudain, la porte de la cellule s'ouvrit en grand et Mendez entra avec un duo de soldats qui s'empressèrent de détacher les deux enfants.

- Vous êtes libres. Nous allons vous ramener aux baraquements et vous pourrez rejoindre les autres recrues. Dépêchez-vous de sortir.

Jack quitta la pièce avec précipitation sans regarder derrière lui. Il avait envie de courir, de voler, de traverser ces murs pour fuir loin, le plus loin possible, sans jamais s'arrêter.

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2227heures, 24 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.


La nuit était tombée et toutes les lumières avait été éteintes par les instructeurs, plongeant la salle de repos dans le noir. Enveloppé dans sa couverture, son corps recroquevillé sur lui-même dans la position du fœtus, Jack ne dormait toujours pas. Mais ce n'était pas pour la même raison que la nuit dernière. Lors de leur arrivée sur cette planète, il avait envie de dormir mais son corps ne voulait pas. Cette fois-ci, malgré le fait que tous ses muscles le suppliaient de céder à l'appel du sommeil, il était totalement incapable de laisser ses paupières se fermer.

Ses yeux étaient braqués droit sur Rei qui l'observait fixement dans la semi-pénombre, incapable de s'endormir elle aussi. Il la surveillait ainsi depuis qu'ils s'étaient couchés. Les soldats les avaient tous deux amenés aux baraquements en empruntant à nouveau un camion de transport militaire, dans lequel on leur avait donné de l'eau et quelques gâteaux secs. Lorsqu'ils étaient arrivés, les autres enfants étaient revenus d'un entraînement assez bizarre consistant, d'après ce que Jack avait pu entendre, à faire sonner une cloche placée en hauteur en choisissant l'un des multiples passages possibles pour l'atteindre. L'un des enfants était d'ailleurs fâché contre deux autres car ils formaient une équipe de trois, comme tous les autres pour cet exercice, et alors qu'il avait sonné la cloche en premier ils étaient arrivés en derniers, le privant ainsi de dîner d'après une décision de l'adjudant-chef. Mais Jack n'avait rien à faire de ces querelles stupides. Lui non plus n'avait pas mangé ce soir car Rei et lui étaient arrivés après l'heure du dîné, et ça ne le préoccupait nullement.

La seule chose qui occupait son esprit, c'était Rei.

- Arrête de me regarder ! finit-il par lâcher dans un murmure néanmoins autoritaire.

- Pourquoi ? … Tu as peur de moi toi aussi, maintenant ?

- … Oui.

Le visage de la petite fille n'esquissa pas la moindre émotion, ce qui ne manqua pas d'inquiéter Jack encore plus. Les yeux rouges de Rei étaient comme deux sphères de sang qui le sondaient au plus profond de lui-même, traquant ses peurs comme pour mieux les imprimer sur ses rétines.

C'est alors qu'elle se retourna dans son lit de manière à se placer dos à Jack, avant de se recroqueviller elle aussi sous sa couverture. Curieusement, cela ne rassura pas davantage le garçon, au contraire. Au bout d'un moment, il finit par dire :

- Tu... tu as tué beaucoup de gens ?

- … Pourquoi me demandes-tu ça ?

- Je veux savoir, c'est tout.

- ... Deux. C'étaient des tests pour voir si j'étais assez forte.

- Et... ils ont souffert ?

- Non. Je devais les tuer en un seul coup, sans qu'ils puissent s'en apercevoir. Pour le premier, j'ai cru que j'avais raté parce que ses yeux étaient toujours ouverts, mais en fait c'est normal car le corps n'a pas eu le temps de réagir. Avec le deuxième, ça a été pareil mais je savais pourquoi, donc je n'ai pas été surprise.

Jack avait du mal à croire que Rei était en train de lui parler de personnes à qui elle avait ôté la vie. Sa voix était si détachée, si calme, comme si cela ne signifiait absolument rien ou si peu. Un détail parmi tant d'autres.

- Jack ? demanda Rei. On... on est toujours amis ?

- … Non.

La fille se retourna lentement et reposa son regard froid sur celui de Jack, qui fit de son mieux pour rester stoïque. Sa main quitta le refuge chaud de sa couverture et se tendit vers le garçon.

- Tu m'avais promis, dit-elle. Tu m'avais promis qu'on serait amis pour la vie.

- Je ne savais pas qui tu étais vraiment, donc ça ne compte pas. Tu m'as menti, et les vrais amis ne se mentent pas.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'as jamais eu d'amis.

Jack ne sut pas quoi répondre face à cette argument. A la place, il se contenta de lâcher sèchement ces mots :

- Laisse-moi dormir.

- Qu'est-ce qui t'empêchais de dormir jusque là ? Répliqua Rei. Tu es tellement fatigué. Il suffirait que tu fermes les paupières pour t'endormir.

Encore une fois, le garçon ne trouva pas quoi dire en réponse. Rei avait raison : il était exténué. Mais il avait beaucoup trop peur pour céder à la fatigue, et ça se lisait parfaitement sur son visage.

- C'est à cause de moi, c'est ça ? dit-elle. Tu as peur que je te tue pendant ton sommeil ? … Je ne ferai jamais ça. Les amis ne se tuent pas entre eux.

- Je ne te crois pas. Tu penses que les amis peuvent se mentir, alors...

- Très bien. Alors je vais m'endormir en première. Observe les mouvements de mes paupières : lorsqu'elles se mettront à trembler, c'est que je suis endormie.

Rei ferma alors les yeux, et il ne fallut que quelques minutes avant que ses paupières ne se mettent à s'agiter comme deux feuilles tremblotant sous le vent. Rassuré, Jack s'abandonna au noir intérieur pour rejoindre le monde des songes en une poignées de secondes.

Dans ses rêves, il revécu le moment où Rei avait cassé la jambe de l'instructeur. Mais cette fois-ci, aucun soldat n'intervint pour l'arrêter...

DISTANCE


0500 heures, 25 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

- Debout, bande de larves ! gueula l'adjudant-chef en ouvrant violemment la porte des casernes. Vous avez trente minutes pour vous préparer ! Ceux qui arrivent en retard me feront deux cent flexions pour apprendre à se réveiller correctement !
Le réflexe de Jack fut instantané : il se propulsa hors de son lit et attrapa sa serviette de bain pour se diriger vers les douches. Rei n'esquissa pas le moindre mouvement lorsqu'il passa à côté d'elle, mais il put voir qu'elle avait les yeux grands ouverts. Elle regardait dans le vide.

L'eau était encore un peu froide, mais cela ne gênait pas du tout le garçon qui put enfin se relaxer. La tension qui s'était accumulée dans son corps depuis la veille le quitta comme si elle était absorbée par le liquide de la même façon que la sueur de sa peau. Il ferma les yeux et vida son esprit, cherchant à chasser l'horrible cauchemar qu'il avait fait cette nuit. Mais l'image de Rei tuant l'instructeur ne cessait de revenir le hanter, et il préféra garder les yeux ouverts. Il posa alors les yeux sur sa blessure à la main, en espérant cette fois qu'elle ne laisserait pas de cicatrice du tout, afin qu'un jour, il puisse oublier.

Soudain, quelqu'un toqua à la porte de sa douche et une voix de garçon retentit :

- Hé ! T'es la recrue 115, c'est ça ?

Sans trop réfléchir, son esprit étant beaucoup trop préoccupé pour cela, Jack répondit oui.

- C'est vrai que la fille qui dors à côté de toi est une tueuse ? continua la voix. Allez, je vous ai entendu parler hier soir pendant qu'on étaient couchés. Elle a vraiment tué deux personnes ?

- Pourquoi est-ce que tu veux savoir ça ?

- Allez, dis-moi. Je te jure que je le dirai à personne.

Jack compris qu'il n'avait aucun moyen de cacher la vérité. Qui que soit cet enfant aux oreilles un peu trop attentives, il était intrigué par la nature de Rei et ce n'était sans doute pas une bonne idée de s'intéresser à elle. Il fallait le convaincre de ne pas chercher plus loin en lui faisant peur.

- C'est vrai. Elle a même failli tué un instructeur hier, alors l'approche pas. Elle est dangereuse.

- Si tu crois que ça me fais peur... je vais allez la voir pour en être sûr.

- Non ! cria Jack en ouvrant la porte de sa douche et en attrapant aussitôt le bras du garçon qui se trouvait devant lui.

Il était un peu plus grand que Jack du fait de ses longues jambes déjà bien musclées pour un enfant de son âge. Au-dessus de ses larges épaules reposait une chevelure noire coupée court et coiffée en désordre, tandis que son dos était marqué de plusieurs cicatrices plus ou moins profondes qui ne manquèrent pas d'inquiéter Jack. Lorsque l'inconnu se retourna pour le regarder, le jeune Foster relâcha immédiatement son bras et s'écarta sous l'effet d'une stupeur terrible : le garçon devant lui avait les mêmes yeux rouges que Rei, et son visage était celui d'un dément. Son regard malicieux mettait mal à l'aise, alors que ses lèvres fines formaient un sourire carnassier qui donnait l'impression qu'il allait se jeter sur Jack pour le dévorer.

- Qu'est-ce qu'y a ? demanda-t-il en amplifiant son sourire pour découvrir deux rangées de dents blanches étrangement pointues. Tu as peur de moi, c'est ça ?

- N... non. C'est juste que tes yeux me rappellent ceux de Rei.

- Alors c'est de cette fille que tu as peur ? Pourtant vous sembliez amis ?

- Au début, oui. Mais je ne savais pas que c'était une tueuse...

- Tu veux que je te protège d'elle ?

Jack crut d'abord que le garçon plaisantait, mais il lui suffit de regarder un court instant ses yeux sanglants à l'énergie redoutable pour comprendre qu'il était on ne peut plus sérieux. Pendant un instant, le jeune Foster éfléchit le plus calmement qu'il pouvait, se demandant si c'était une bonne chose que de se rapprocher d'un tel individu. Il s'était déjà fait avoir avec Rei, formant un pacte de sang avec une meurtrière sans le savoir, et il ne souhaitait pas faire deux fois la même erreur. De plus, cet inconnu était loin d'inspirer confiance. Mais c'est peut-être ce qui décida Jack à penser qu'il pouvait être différent de Rei.

- D'accord, dit-il finalement en tendant sa main ouverte. Je m'appelle Jack Foster.

- Sahaal Ashyn pour te servir, répondit le garçon en s'inclinant légèrement sans pour autant s'arrêter de sourire.

Il y avait quelque chose de profondément dérangeant chez Sahaal. Ce n'était pas le même genre de bizarrerie que chez Rei, mais le résultat était quelque peu identique : il semblait totalement ailleurs, flottant dans un autre monde inaccessible aux simples mortels comme Jack et où il se sentait infiniment mieux que dans cette sombre et dure réalité.

- Tu as fini de te doucher ? demanda soudain Sahaal.

- Hein ? … Euh... oui, oui j'ai fini.

- Alors je te raccompagne à ton lit. Des fois qu'on fasse une mauvaise rencontre...

Jack n'aimait pas la façon dont parlait l'étrange garçon, mais il préféra ne pas lui faire la remarque. Au lieu de ça, il enroula sa serviette autour de la taille et quitta la salle des douches, accompagné de son tout nouveau garde du corps. Rei était assise sur son lit, enveloppée dans sa propre serviette de bain et attendant patiemment sans bouger un muscle. Dès qu'elle vit Jack arriver, elle se leva et marcha vers les douches d'un pas mécanique. Lorsqu'ils se croisèrent, les regards de Sahaal et de Rei se chargèrent d'une puissante tension meurtrière, mais alors que le garçon s'arrêta à un mètre d'elle, Rei continua son chemin sans rien dire. Le poings droit de Sahaal se serra si fort qu'il en tremblait sous l'effet de la colère.

- Tant pis, lâcha-il dans un murmure qui échappa à l'attention de Jack. Je t'aurai plus tard.

Quelques minutes plus tard, tous les enfants étaient dehors pour suivre les exercices physiques de l'adjudant-chef. Ils accomplir exactement les mêmes choses que le jour précédent, sauf que cette fois ci, Jack n'eut pas à s'effondrer volontairement et que, bizarrement, Rei parvint à tenir jusqu'au bout cette fois-ci. Mais après les cent redressements assis, Mendez emmena les enfants courir à travers la région. Il traversèrent une partie du complexe militaire avant de rentrer dans les bois en suivant un petit cour d'eau avant de franchir un pont. Cette course lui semblait encore plus longue que les deux tours autour du complexe qu'il avait accompli avec Rei l'autre jour, et il se rendit alors compte que Mendez leur avait donné un parcours moins fatiguant pour les ménager. Derrière son visage dur, l'adjudant-chef semblait posséder quand même un cœur généreux.

A un moment du parcours, Rei s'écroula par terre, exténuée, et ne se releva pas. Jack ne lui porta pas la moindre attention, même lorsqu'il passa à côté d'elle pour suivre les autres enfants. La petite fille ne fit pas un geste vers lui, et ne chercha pas à le regarder, pourtant Jack sentit qu'à ce moment précis, toutes les pensées de Rei étaient tournées vers lui. Alors qu'il s'éloignaient en suivant Mendez, Sahaal lâcha en ricanant :

- Elle a pas l'air bien solide ton amie. Tu es vraiment sûr que c'est une tueuse ?

- C'est une tueuse, cracha Jack entre deux respirations haletantes. Et ce n'est pas mon amie.

Les enfants longèrent une piste d'envol d'où décollaient des avions de chasse dont les réacteurs massacrèrent leurs tympans. Puis ils débouchèrent dans une coure pavée devant un immense bâtiment, dont le sommet était paré d'un dôme resplendissant et dont l'entrée ornée de hautes colonnes blanches était placée au sommet d'un grand nombre de marches. Sur l'arche au-dessus de l'entrée avaient été gravés les mots ECOLE NAVALE DES OFFICIERS. Jack ne cacha pas son émerveillement face à cette scène, et Sahaal ne manqua pas de lui faire remarquer :

- J'avais oublié que t'étais pas là lorsqu'on est venu ici, hier. Tu vas voir : c'est la meilleure partie de la journée.

Avant qu'ils n'atteignent les premières marches de l'édifice, une lumière jaillit devant eux et prit la forme d'une femme enveloppée de drap blanc. Jack reconnu là une IA, comme celle qui lui faisait ses cours à la maison avant qu'il ne soit forcé d'entrer à l'école.

- Elle s'appelle Déjà, lui expliqua Sahaal. C'est notre professeur.

- Bonjours les enfants, déclara l'IA d'une voix douce. Vous avez l'air en meilleure forme qu'hier. Veuillez entrez. Le cours va commencer.

Le groupe monta les marches pour pénétrer dans le bâtiment, tandis que l'adjudant-chef repartait vers les baraquement à la même cadence de course militaire tel une machine. L'air était frais, et Jack refroidit son corps par de grandes respirations alors qu'ils empruntaient un couloir jusqu'à une porte de bois noir grande ouverte. Elle menait sur une salle ovale avec des gradins de bancs organisés en cercles concentriques s'élevant progressivement depuis le centre jusqu'aux extrémités. A l'entrée se trouvaient des plateaux de biscuits salés accompagnés de briques de lait qu'ils consommèrent sans réserve avant de s'assoir un peu partout.

Au bout de quelques instants, le centre de la salle s'illumina et un paysage holographique apparut. Il représentait une vaste étendue de collines d'herbe verte que ruminaient une majestueuse bête à cornes que Jack reconnu aussitôt : un élan. Rapidement, d'autres animaux apparurent à l'une des extrémités du paysage virtuel : des loups. Ces chasseurs étaient peut-être quatre à cinq fois moins grands que leur proie, mais ils agirent de concert pour désorienter l'élan, l'un des loups attirant son attention tandis qu'un autre l'attaquait par derrière. Peu à peu, la meute parvint à affaiblir suffisamment l'herbivore pour finalement le mettre à terre et le dévorer. C'était un spectacle impressionnant, mais tout aussi répugnant.

Lorsque la chasse fut terminée, le paysage holographique s'évanouit pour laisser place à Déjà qui se mit à leur expliquer pourquoi les loups étaient forcés de travailler en équipe pour réussir à chasser des proies aussi grosses. Elle leur dit également pourquoi ils n'attaquaient jamais l'élan par les côtés à cause de la disposition de ses yeux, qui lui permettaient de voir distinctement ces angles d'attaque. D'autres détails furent abordés, comme le sens du vent qui pouvait porter les odeurs, les coussinets des pattes des loups qui leur permettaient de se déplacer en silence, et les points vitaux qu'ils cherchaient à atteindre lorsqu'ils frappaient.

Tout le long du cours, Jack remarqua un garçon qui était nettement isolé de tous les autres enfants. De là où il se trouvait, le jeune Foster avait du mal à discerner son visage, mais il y avait quelque chose qui rendait cet enfant unique au milieu de tous les autres : il était totalement chauve. Etait-ce à cause de cette différence qu'il avait été exclu par les autres recrues ? Ou avait-il choisi délibérément de s'isoler ? Dans les deux cas, cela le rendait un peu semblable à Jack.

Soudain, Déjà annonça que le cours était terminé et qu'ils pouvaient retourner au terrain de jeu.

- Le terrain de jeu ? répéta Jack.

- C'est pas ce que tu crois, lui lança Sahaal. Tu vas voir.

Le « terrain de jeu » était en fait l'endroit où les recrues avaient effectué ce curieux exercice dont Jack avait entendu parlé la veille : « La cloche a sonné ». La-dite cloche était placée au sommet d'un poteau de taille vertigineuse, et Sahaal confia à Jack que ce poteau était nettement plus petit la première fois. D'innombrables parcours d'obstacles s'entrecroisaient pour former un labyrinthe dont certains passages devaient mener à la cloche, et le but était de trouver le bon à temps.

- Les mêmes équipes qu'hier ! annonça Mendez.

- Ah bah merde ! lâcha Sahaal avec regret. On dirait qu'on va pas pouvoir être ensembles.

- Tu es avec qui ? demanda Jack par curiosité.

Comme simple réponse, il pointa du doigt deux enfants qui approchaient. Le premier était un garçon aux cheveux châtains et aux yeux verts légèrement bleuté, plein d'entrain qui était apparemment en train de raconter quelque chose. Une histoire, peut-être, ou alors une blague. Sur son maillot, Jack put lire les inscriptions GRAY-066. La deuxième personne était une petite fille aux longs cheveux brun qui tombait sur un doux visage affichant un sourire réservé, d'une maturité exemplaire. Elle ne cessait de porter la main à sa tête comme si elle avait une profonde migraine, sans doute causé par le jacassement intempestif de son coéquipier. Son haut de corps affichait JENNY-151.

- Je te présente les deux pires boulets de tout le groupe, annonça le garçon aux yeux rouges sur une pointe d'ironie. C'est d'ailleurs à cause d'eux que notre équipe a été la première à avoir terminé le jeu de la cloche hier.

- Arrête de plaisanter, Sahaal, fit Jenny. J'ai déjà assez mal à la tête avec l'autre à côté.

- C'est de moi que tu parles ? renchérit Gray. Si c'est comme ça, je ne te cause plus.

- Parce que tu pourrais y arriver ?

Gray se contenta de lâcher un soupire de mépris, mais quelques instants plus tard, il était déjà en train de raconter une histoire invraisemblable à propos de loups qu'il aurait vu dans les bois alors qu'ils courraient ce matin-là.

Soudain, Jack entendit quelqu'un s'approcher de lui et se retourna pour voir le chef Mendez accompagné de Rei et de l'étrange garçon chauve qu'il avait remarqué pendant le cours. Il était beaucoup plus petit que la plupart des autres enfants, mais son corps était étonnamment musclé, peut-être encore plus que celui de Sahaal. Mais ce qui était le plus étrange chez lui n'était pas l'absence totale de cheveux sur son crâne ovale, mais ses étranges yeux d'un blanc teinté de violet qui semblaient percevoir des choses invisibles. Jack lut EDDY-057 sur ses habits.

- Comme vous étiez absents pendant l'exercice d'hier, commença Mendez, 57 s'est retrouvé seul et s'en est plutôt bien tiré. Mais aujourd'hui, vous allez devoir faire équipe avec lui, alors tâchez de ne pas trop le ralentir.

Brusquement, Jack se sentit pris d'une profonde nausée en réponse à la proximité de Rei. Il préféra porter son attention sur Eddy qui, même s'il était lui aussi particulièrement bizarre, lui faisait nettement moins peur. Afin de détendre l'atmosphère, il parla du premier sujet lui venant à l'esprit :

- Si tu as bien réussi l'exercice hier, tu peux nous aider à le faire aujourd'hui ?

- Je ne sais pas, dit le garçon d'un ton sérieux alors qu'il analysait le terrain. La cloche était moins haute, hier, et les obstacles n'étaient pas placés comme ça.

- Il faut qu'on décide par où passer.

- Mais certains passages ne mènent nul part, apparemment, et d'autres sont beaucoup trop difficile. Surtout pour ton amie.

- Ce n'est pas mon amie.

Rei ne réagit pas face à ces mots, comme si cela n'avait aucune importance pour elle. Est-ce qu'elle avait accepté le fait que leur serment était rompu ? Ou cela ne valait-il rien pour elle dès le départ ? Quoi qu'il en soit, Jack était content de voir qu'elle ne semblait nourrir aucune rancœur envers lui pour cela.

C'est alors qu'un coup de feu retentit : c'était le signal du départ. Les enfants se précipitèrent vers les différents accès qui paraissaient mener à la cloche, beaucoup se trompant dans leur précipitation. Eddy, lui, prit son temps pour examiner correctement chaque passage afin de déterminer lequel était le plus simple et le plus rapide pour eux.

- Cette échelle de cordes me semble un bon point de départ, dit-il en s'avançant vers l'obstacle ainsi désigné.

Les trois enfants commencèrent à grimper à l'échelle qui ne cessait de bouger en tout sens, Eddy prenant la tête, suivit de Jack qui laissa Rei à la traîne. Les deux garçons ne mirent pas longtemps à atteindre la passerelle qu'elle reliait au sol, mais leur coéquipière avait la plus grande peine du monde à grimper. Alors qu'elle se trouvait presque au sommet, elle sentit ses forces l'abandonner, et tendis la main en l'air pour réclamer de l'aide.

- Débrouille-toi ! lui fit Jack. Grimpe !

- Je... ne peux pas. Je vais tomber.

- Je m'en fiche.

- Pas moi, intervint brusquement Eddy. Si elle tombe, on sera derniers, et on ne mangera pas ce soir. Aide-la pendant que je cherche la suite du chemin.


Cet argument fit hésiter Jack. La dernière fois qu'il avait cherché à aider Rei, il s'était retrouvé impliqué dans l'attaque d'un instructeur. Il dû cependant admettre qu'il ne pourrait pas supporter de sauter une deuxième fois de suite son repas du soir, et se pencha alors pour prendre la main de Rei.

Mais au moment où il la souleva vers lui, la petite fille posa ses yeux rouge sur lui et il eut un réflexe. Il la lâcha. Rei tomba alors de l'échelle de corde pour chuter sur le dos dans l'épaisse couche de sable qui se trouvait en contrebas.

L'équipe de Jack termina dernière, et les trois enfants furent privés de dîner.


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1907 heures, 25 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Alors que toutes les autres recrues étaient en train de manger des plats d'apparence succulente dans la cantine prêts de leur baraquement, Jack était assis sur une pierre dehors. On lui avait seulement donné une bouteille d'eau salée qu'il ne parvenait pas à boire. Cependant, au bout de quelques minutes à peine, Sahaal sortit de la cantine. Il tendit à Jack son maillot qu'il avait retiré et roulé en boule pour envelopper quelque chose :

- Je t'ai apporté une partie de mon repas. Ça devrait t'aider à tenir le coup.

- … Merci, dit simplement Jack en s'étonnant de ce geste de compassion de la part du garçon.

- T'as déjà pas mangé hier, alors je me suis dis que t'aurais vraiment besoin de bouffer quelque chose. Eddy, lui, il a eut son repas hier, alors c'est moins...

Sahaal ne termina pas sa phrase. Il venait de remarquer Rei qui s'était allongée dans l'herbe un peu plus loin pour observer le coucher de soleil, ou du moins faire semblant d'observer le coucher de soleil.

- C'est à cause d'elle que t'as perdu aujourd'hui, hein ?

- … Oui. Mais c'est pas de sa faute.

- Je m'en fous que ça soit sa faute ou pas. Je comprends pas ce qu'elle fait ici. Elle est la plus faible. Même Jenny pourrait lui mettre une raclée. Et tu me dis que c'est une tueuse ?

Sahaal s'approcha alors de Rei qui voulu se relever pour s'éloigner, mais le garçon la jeta à terre.

- Alors comme ça, t'as déjà tué deux personnes et cassé la jambe à un instructeur ? Comment t'as fais ? Vas-y, montre-moi.

Rei ne répondit pas. Elle se contenta de se relever tranquillement et de commencer à s'éloigner pour rejoindre les baraquements, mais Sahaal lui prit le bras et la ramena vers lui.

- Allez, montre-moi ! Montre-moi ce que c'est que de tuer ! Dis-moi ce qu'on ressent quand on le fait ?

Il la harcela de ses questions en la forçant à le regarder tandis qu'elle cherchait à esquiver son regard, et elle s'obstina à ne pas répondre. Cela eut pour effet de faire grandir la colère du garçon qui se fit de plus en plus violent. Il en vint à la frapper, d'abords sous la forme de simples gifles, puis de véritables coups de poings. Jack regarda impassiblement Rei qui encaissait sans rien dire. Même lorsqu'elle tomba à terre et que Sahaal s'accroupit pour la tabasser à mort en criant :

- Quoi ? C'est ça la tueuse dont tout le monde a peur ici ? Qu'est ce qui t'arrive ? Pourquoi tu veux pas me montrer ce que tu sais faire ? T'es qu'une merde ! T'es inutile ! Ça te fais mal quand je te frappe, au moins ? Sinon je peux te tuer maintenant !

Soudain, un bruit de moteur se rapprocha rapidement, et un hélicoptère apparut au-dessus des enfants. Deux cordes tombèrent jusqu'au sol et un duo de soldat descendit en rappel pour saisir Sahaal et le plaquer au sol. Pendant ce temps, l'appareil se posait dans l'herbe et une équipe de médecins en sortit avec un brancard sur lequel ils placèrent Rei, dont l'état semblait inquiétant. Avec un grand empressement, il la chargèrent à l'arrière de l'hélicoptère qui repartit dès que les soldats y soient remonté, laissant Sahaal allongé sur le sol avec une triple dose de tranquillisant dans les veines.

Jack regarda l'engin s'éloigner dans la pénombre du crépuscule sans ressentir la moindre peine. Toute considération pour Rei semblait l'avoir quitté. Elle ne signifiait plus rien pour lui. En portant son regard sur sa main droite, il eut l'impression que sa blessure commençait à disparaître... mais c'était juste le manque de lumière.

VÉRITÉ


0435 heures, 26 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach, aile ouest du CHÂTEAU.

Le bureau du Dr Catherine Halsey était plongé dans le chaos le plus total. Des piles de dossiers s'accumulant de toutes parts tandis que les cristaux de données mémorielles formaient un tas informe devant le projecteur holographique et que son grand tableau blanc était couvert de photos et de diagrammes retenues par de petites accroches magnétiques. Elle avait beau être une femme très ordonnée dans tout ce qu'elle entreprenait, son soucis du rangement avait disparu du jour au lendemain dès le lancement du programme SPARTAN-II. Après tout, elle était la directrice de ce projet. C'était donc à elle qu'incombait la tâche d'en superviser tous les aspects.
Elle avait passé la nuit à analyser toutes les données collectées sur les soixante-quinze recrues depuis le début de leur entraînement. Et bien qu'elle se soit attendu à rencontrer des difficultés chez certains enfants, plusieurs incidents avaient largement prouvé qu'elle n'avait pas tout prévu. Halsey possédait de solides compétences en psychologie et psychothérapie, ce qui lavait amenée à penser qu'elle pourrait quelque peu anticiper les actions de ces enfants et les influencer suffisamment pour qu'ils acceptent leur nouvelle situation et cherchent à devenir les meilleurs. Mais la psychologie est une science très inexacte.

Sur le bureau de la scientifique étaient étalés des dizaines de dossiers aux sujets divers. La plupart étaient des rapports écrits par les instructeurs de Mendez sur les incidents survenus avec les recrues depuis leur arrivée au complexe, les autres traitant de sujets divers comme les dernières avancées en matière d'augmentations corporelles ou les aménagements effectuées au CHÂTEAU pour accueillir le programme des spartans. Tous étaient reliés au programme du Dr Halsey et beaucoup d'entre eux étaient urgents, mais celui qui la préoccupaient le plus était celui qui trônait au sommet de cette montagne de paperasse.

C'était la troisième fois qu'elle lisait l'intégralité de son contenu, cherchant à savoir ce qui n'allait pas dans ce dossier, quelles erreurs avaient bien pu être commises pour en arriver là et à quelle moment la situation avait échappé à tout contrôle. Au bout de la troisième lecture, elle avait une meilleure vision d'ensemble du problème et avait aussitôt réagit en passant un unique coup de téléphone.

Quelques minutes plus tard, quelqu'un frappa à la porte.

- Entrez, adjudant-chef !

- Madame, fit respectueusement Mendez en pénétrant dans le bureau.

Le militaire fit quelques pas en observant le chaos qui y régnait, puis considéra l'état de grande fatigue de Halsey. D'une voix qui se voulait sympathique mais qui sortit tout de même quelque peu sèche, il lui confia :

- Vous devriez prendre un peu de repos.

- Surtout pas, répliqua-t-elle. Les premiers temps sont toujours une période de très grande fragilité dans tout procédé, même quelque chose d'aussi grand que ce programme d'entraînement. Si trop de problèmes s'accumulent trop tôt, tous nos efforts risquent de ne rien donner.

Mendez semblait parfaitement d'accord avec cet état de fait. L'amirauté avait investi une fortune pour ce programme et exigeait des résultats le plus tôt possible pour justifier le financement des spartans-II, toutefois il fallait considérer le fait que c'était des enfants qui étaient entraînés là. Beaucoup étaient réfractaires à leur formation et à l'autorité de leur instructeurs, certains allant jusqu'à tenter de s'échapper du complexe à chaque occasion (ndla : petite référence au livre Protocole Cole). Il fallait réagir rapidement face à chaque problème afin que le taux de réussite soit le plus élevé possible pour satisfaire l'amirauté. Chaque recrue qui ne terminerait pas le programme serait une immense perte pour le CSNU.

Cependant, Mendez soupçonnait le Dr Halsey de l'avoir appelé pour une raison bien plus importante que simplement discuter sur la situation présente. Elle ne prenait jamais le risque de le déranger pour rien.

- Je suppose que vous ne m'avez pas fait venir ici pour traiter tous ces dossiers d'une seule traite, fit-il en désignant les rapports éparpillés. L'un d'entre eux demande une attention particulière, n'est-ce pas ?

En guise de réponse, Halsey s'approcha de son bureau et saisit le dossier en question pour le présenter à l'adjudant-chef. Sur la couverture, en dehors du cachet habituelle marquant TOP SECRET – PROPRIÉTÉ DE LA DAGSN, un seul mot était écrit : AEGIS. A la vue de ce mot, Mendez réagit immédiatement :

- Je vous l'ai déjà dit dès le début : c'est une cause perdue. Il faut renoncer à cette idée.

- Non, répondit Halsey avec un emportement qui ne lui ressemblait guère. Nous ne pouvons pas abandonner. Est-ce que vous savez ce que cela nous a coûté en terme de moyens, de crédits, de vies humains, pour mettre en place ce projet ?

- C'était une folie. Si cela n'avait tenu qu'à moi, ce projet n'aurait jamais vu le jour.

Halsey lui jeta aussitôt un regard noir avant de répliquer :

- Peut-être, mais vous ne pouvez nier que s'il aboutit, il sauvera un nombre considérable de vies.

Mendez détourna le regard, une manière à lui de dire silencieusement que la scientifique avait raison. Toutefois, il ne pu s'empêcher d'ajouter :

- De toute façon, cela ne marchera jamais. Vous avez lu comme moi les premiers rapports des instructeurs et vous savez donc à quel point ce projet est compromis.

- Il reste encore un espoir.

L'attention de Mendez revint subitement. L'adjudant-chef n'était pas du genre à avoir peur, encore moins à montrer qu'il craignait quelque chose, mais cette fois-ci, une grande inquiétude s'échappa de son regard.

- Que comptez-vous faire ? demanda-t-il le plus calmement possible.

- … Lui dire la vérité.

- Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Il est beaucoup trop jeune et les études ont montré que si...

- Je m'en fiche. C'est le seul moyen de maintenir le projet Aegis en vie alors je vais le faire. Envoyez-le moi dès qu'il sera réveillé.


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0547 heures, 26 septembre 2517 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach, aile ouest du CHÂTEAU.

Jack se sentait terriblement mal à l'aise. Bien que les instructeurs qui le menaient à travers le complexe l'avaient assuré qu'il ne risquait rien, le garçon sentait que sa situation était en train de devenir de plus en plus dangereuse. Il n'en voulait pas à Sahaal d'avoir frappé Rei, au contraire, mais l'intervention des soldats avait de quoi l'inquiété, car c'était déjà la deuxième fois qu'il était impliqué dans un incident de ce genre. Il avait peur que l'adjudant-chef ne l'ai convoqué à nouveau pour le réprimander.

Mais lorsqu'il pénétra dans la pièce vers laquelle les instructeurs l'avait guidé, il ne vit aucun signe du chef. Il se trouvait dans une sorte de bureau incroyablement désordonné, presque autant que celui de son père, sauf que celui-ci était occupé par la dame en blouse blanche.

- Bonjour Jack, dit-elle doucement. Je suis le docteur Halsey. Viens, assied-toi.

Une chaise avait été placée devant le bureau du docteur. Pendant un instant, Jack se demanda si elle allait lui faire une piqure.

- Pourquoi est-ce que je suis là ? demanda-t-il craintivement.

- Je voulais simplement parler un peu avec toi, c'est tout. Tu es d'accord ?

- … Oui.

- C'est à propos de Rei.

- Alors non.

- Pourquoi ?

- Parce qu'elle est mauvaise.

- Pourquoi est-elle mauvaise ?

- Parce qu'elle a tué des gens.

Le docteur se laissa tomber dans son fauteuil comme pour abandonner l'idée de convaincre Jack, puis elle dit :

- Alors je vais plutôt te raconter une histoire : il était une fois un roi tyran qui régnait sur une grande citée, mais qui avait terriblement peur de la mort. Il craignait que quelqu'un ne cherche à l'assassiner pour prendre sa place, et c'est pourquoi il s'entourait de gardes et de courtisans qui l'adoraient, le rassuraient et le protégeaient. Mais l'un de ces courtisans ne cessait de lui dire qu'il avait une chance énorme d'être roi de la cité. Le roi lui proposa alors de prendre sa place pendant une année entière et le courtisan accepta aussitôt, afin de profiter de toutes les joies possibles. Mais un jour, alors qu'il mangeait à sa table, le courtisan leva la tête et vit qu'une épée était suspendu à une corde juste au-dessus de sa tête. Elle avait été placée là par le roi, qui lui expliqua qu'elle représentait la crainte de tous les rois : celle d'une mort soudaine pouvant survenir à tout moment. Le courtisan se nommait Damoclès, et depuis ce jour il existe une expression : « avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête ». Cela veut dire qu'on se trouve dans une situation dangereuse, qui peut très bien nous tuer d'un moment à l'autre.

« Mais cette expression n'est pas la seule chose qui a été créée à la suite de cette histoire : des gens se sont rassembler pour symboliser cette peur de la mort qui possède tous les rois et les autres personnes puissantes. Ces gens étaient des assassins, et ils ont nommé leur organisation Damoclès. Cette organisation existe encore aujourd'hui, et possède des membres un peu partout sur la Terre et dans les colonies. De temps en temps, des gens donnent de l'argent à Damoclès pour éliminer des personnes particulières, qui sont aussitôt assassinées.

« Les assassins de Damoclès sont entraînés dès la naissance. Ils n'ont pas de parents, pas d'amis, personne avec qui partager une vie normale. Tout le long de leur vie, ils ne reçoivent aucune affection, aucune tendresse, et on ne leur apprend que les choses qui leur serviront à tuer.

« Rei faisait partie de ces enfants, mais nous l'avons arrachée à Damoclès lors d'une bataille qui a coûté la vie à des dizaines de soldats. Maintenant, nous essayons de lui offrir une nouvelle vie où elle pourra combattre pour le bien de l'Humanité.

L'image que Jack se faisait de Rei se mit soudain à changer. Jusque là, il pensait qu'elle avait choisi d'être telle qu'elle était, mais maintenant il ressentait une certaine tristesse pour la petite fille. Il commença à se rendre compte de la chance qu'il avait eut d'avoir des parents comme les siens qui l'aimaient tellement. Il voulait les revoir...

- Maintenant, continua le docteur Halsey, veux-tu savoir pourquoi tu es ici ? Pourquoi je t'ai choisi ?

Jack fit oui de la tête.

- Rei n'est pas très douée pour vivre avec les autres enfants. Elle est un peu comme un muet qui parle à nouveau : elle ne sait pas comment s'y prendre. C'est parce qu'elle a eut une vie trop différente et qu'elle n'a jamais appris à se faire des amis. Mais toi, tes parents t'ont donné plus d'amour et de tendresse que n'importe quel autre enfant ici, et ils t'ont appris les vraies valeurs de la vie qui sont l'honnêteté, le courage, le respect et l'humilité. Sais-tu ce que cela fais de toi ?

- Non...

- Un chevalier.

Jack eut soudain comme un déclic à la mention de ce mot. Lisa, l'Intelligence Artificielle que ses parents avaient chargé de l'éduquer, lui avait déjà raconté des histoires formidables à propos de chevaliers, de dragons et de princesses. Des images formidables avaient été imprimées dans son esprits, et il s'était déjà lui-même imaginé affrontant mille périls dans une armure resplendissante afin de sauver une princesse. Le fait que le docteur le considère comme un chevalier avait de quoi lui donner une immense confiance en lui.

- Je t'ai choisi pour être le chevalier de Rei, expliqua Halsey. Je voudrais que tu l'aide, que tu la protège des autres et aussi d'elle-même afin qu'elle devienne quelqu'un de bien. Elle avait fait de gros efforts pour se rapprocher de toi, tu le sais ?

Jack ne répondit pas, mais il ne pouvait cacher sa surprise. Rei lui avait déjà semblé incroyablement bizarre dès la première fois qu'il l'avait vu, et imaginer qu'elle pouvait l'être encore plus lui donnait froid dans le dos.

- Si tu n'arrives pas à l'aider, elle risque d'être retirée de cette école et d'être placée en orphelinat. Tu comprends ce que cela signifie ?

- Oui.

- Maintenant pose-toi cette question : est-ce que tu as envie de l'aider ?

- … Oui.

Halsey esquissa un sourire de satisfaction à ce simple mot.

- Parfait. Alors tu peux aller la voir. Elle est dans la pièce d'en face.

Jack se releva immédiatement de sa chaise et quitta la pièce pour ouvrir la porte de l'autre côté du couloir. Il pénétra dans une petite infirmerie avec de nombreux appareils agencés autour d'un lit médical. Rei était couchée dessus, enveloppée dans des couvertures stériles, un masque à oxygène posé sur sa bouche. Elle ne semblait pas avoir subi de séquelles suites aux coups portés par Sahaal l'autre jour, cependant elle était apparemment inconsciente.

Sans hésiter, Jack pris sa main dans les siennes. Elle était froide, mais il fut rassuré lorsque Rei ouvrit les yeux.

- Jack ? Dit-elle faiblement. C'est toi ?

- Oui.

Elle était très faible. Ses paupières étaient tombantes et elle ne parvenait pas à serrer la main de Jack. Plusieurs fois sa bouche s'entre-ouvrit, mais aucun son n'en sorti.

- Rei, dit-il avec compassion. Je suis désolé. Je... je ne savais pas ce qui t'était arrivé avant. Mais maintenant je comprends, et je veux t'aider.

Sans lâcher la main de son amie, le garçon mit un genoux à terre, comme il avait vu faire les chevaliers dans les vidéos que lui avait projetées Lisa. Il fit un effort de mémoire énorme pour se rappeler les paroles que prononçaient ces soldats dans ce genre de situation, puis déclara solennellement :

- Sur ma vie et mon honneur, je te jure de te protéger et de t'aider en... euh... en... en toute chose et en tout instant.

Pour la première fois, Jack vit une larme couler sur l'une des joues de Rei.

TRAQUEURS


1702 heures, 14 mars 2521 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Fermer les yeux. Se concentrer. Arrêter de respirer. Ne plus bouger un seul muscle. Focaliser toutes mes pensées sur l’ensemble des récepteurs de ma peau. Ressentir l’air tout autour de moi jusque dans les plus infimes variations de pression, de température et d’humidité. Percevoir le moindre courant aérien pour différencier ceux qui sont naturels de ceux qui ne le sont pas. Localiser leurs origines et les comparer avec les souvenirs que j’ai gardé de l’organisation de cette pièce. La fenêtre entre-ouverte sature ma perception de deux à quatre heures sur ma droite, mais ce courant est assez régulier. S’il est perturbé, je pourrai le ressentir.
Mais je dois rester concentrer. Créer des hypothèse détourne mon esprit de l’instant présent. Si je laisse un seul instant d’inattention, l’ennemi peut en profiter pour prendre l’avantage. Je dois rester concentrer. Cela fait maintenant sept minutes que les lumières se sont éteintes.

… huit minutes.

… neuf minutes.

… perturbations sur le courant de la fenêtre à trois heures ! Distance de la source estimée à trois mètres et en approche rapide ! Elle attaque !

Je plie mes genoux pour esquiver une attaque qui passe juste au-dessus de ma tête, un coup de poing. Dans le même mouvement, je fauche les jambe de mon adversaire d’un mouvement rotatif du pied droit et, calculant son point de chute, je saisi sa nuque avec mes doigts en position pour lui briser les vertèbres cervicales.

- J’ai gagné, annonça Jack. Tu es morte.

Les lumières de la salle d’entraînement se rallument aussitôt et le garçon put rouvrir les yeux pour savourer sa victoire. La première sur quarante-trois de ces essais journaliers qui faisaient partie de leur formation spéciale, à Rei et lui.

La jeune fille ne se releva pas immédiatement après que Jack ait relâché son emprise sur elle et préféra prendre quelques instants pour analyser ce qui s’était passé. Autour d’eux, la salle était déserte, comme à chaque fois. Personne d’autre n’était autorisé à pénétrer dans cette salle, excepté le chef Mendez, ce qui en faisait un peu leur sanctuaire, l’endroit où ils se sentaient le plus tranquille bien que ce ne soit qu’une heure par jour. Lorsqu’elle se remit finalement sur ses pieds, Rei tourna son regard magnifique vers celui du garçon et lui dit avec sincérité :

- C’était très bien, Jack. Tu as réagi exactement comme il fallait, mais tu m’as repéré juste à temps. Il te faut encore améliorer ta perception. Je t’ai pourtant tourné autour plusieurs fois avant d’agir.

- Tu es trop discrète pour moi, répondit-il. Le seul mouvement que j’ai ressenti, c’est lorsque tu as attaqué.

- Alors tes réflexes sont encore meilleurs que ce que je pensais.

Jack haussa des épaules en souriant. Il savait pertinemment que ses réflexes, sa force et sa rapidité étaient parmi les meilleures de tous les spartans, mais il n’aimait pas le montrer à Rei qui était largement dernière dans ces trois domaines. Dans le binôme qu’ils formaient au sein de ce programme, elle était le cerveau et lui le muscle, une association qui leur avait plutôt bien réussi jusque là. Depuis le début de leur formation sur Reach, le principal atout de Rei avait été son incroyable intelligence, doublée d’un talent de furtivité exceptionnel hérité de son entraînement d’assassin.

Il y a maintenant un mois de cela, l’adjudant-chef Mendez les avait pris à part pour leur annoncer qu’ils allaient commencer un entraînement spécialement conçu pour eux. Un entraînement qui déterminerait s’ils étaient aptes ou non à remplir la mission pour laquelle ils avaient été sélectionnés dans le programme des spartans. Mais pour le moment, c’était Jack qui devait travailler sur lui-même. Rei lui avait enseigné la seule méthode permettant de repérer un véritable assassin se trouvant à proximité, et il essayer de la mettre en pratique face à la jeune fille.

- Mendez sera content de savoir que tu fais des progrès, annonça-t-elle. Il commençait à s’impatienter.

- Mais je ne comprends pas pourquoi nous ne pouvons pas faire plus d’un essais pas jour, protesta le garçon. Si on en faisais plus, je progresserai plus vite.

- Je t’ai obligé à ralentir ton métabolisme pendant près de neuf minutes. Ton corps n’est pas encore assez solide pour subir cela plus d’une fois par jour, mais d’ici quelques années et avec le bon entraînement, tu seras capable de faire cela de façon presque illimité.

- Pourtant je me sens en pleine forme.

A ces mots, Rei s’approcha de lui et lui prit le pouls au niveau de l’artère carotide pendant plusieurs secondes. Elles savait dissimuler ses émotions à la perfection, sauf devant Jack. Non pas qu’elle soit déconcentrée par la présence du garçon, mais celui-ci la connaissait trop bien et savait repérer les infimes mimiques qu’elle affichait pour tel ou tel état d’esprit. Et à ce moment précis, elle était surprise, très surprise.

- Ton pouls est étonnamment régulier, dit-elle au bout d’un moment. Est-ce que tu t’es entraîné en secret ?

- Quand-est-ce que j’aurais bien pu le faire, répondit-il avec un sourire d’amusement.

Depuis le serment qu’il avait passé avec elle il y a maintenant quatre ans de cela, Rei et lui étaient devenus les êtres les plus inséparables qui puissent exister en cette période troublée. Ils ne se séparaient jamais plus de quelques minutes par jour, affrontant chaque instant de leur vie ensembles comme un seul être menant une double vie. Les instructeurs avaient l’habitude de dire qu’il y avait un lien invisible entre les différents sujets du programme spartan qui leur donnait un esprit de groupe extrêmement fort, mais Jack et Rei étaient d’un tout autre niveau. Car bien qu’ils restaient constamment à l’écart des autres enfants et disposaient donc d’une connexion assez faible avec eux, le lien qui unissait ces deux spartans en particulier était quasi télépathique, comme une symbiose totale. C’est pourquoi personne n’avait jamais osé tenter de les séparer d’aucune façon, pas même l’adjudant-chef Mendez même s’il affirmait que c’était uniquement par recommandation du docteur Halsey. Et depuis quatre ans, Jack et Rei formaient le duo d’enfants soldats le plus uni qui ait jamais existé.

C’est pourquoi il n’y avait aucun moyen pour que Jack ait pu s’entraîner en secret.

- Tu dois avoir une excellente condition physique, conclut Rei. Même moi j’ai du mal à tenir aussi longtemps sans m’affaiblir.

- Mais tu sais très bien pourquoi tu t’affaiblis aussi vite.

La jeune fille baissa soudain le regard. Elle n’aimait pas se montrer faible devant son ami. Malgré tout l’entraînement qu’elle avait subit durant ces dernières années, elle restait la plus faible de tous les spartans, tandis que Jack devait être le quatrième ou le cinquième plus fort. D’après le docteur Halsey qui avait pratiqué plusieurs tests sur elle, il y avait quelque chose, dans son corps, qui limitait le développement de ses muscles. Une maladie, peut-être, ou tout simplement un défaut génétique. Quoi qu’il en soit, Rei avait été extrêmement triste de savoir qu’elle ne pourrait jamais se montrer forte devant Jack.

Mais Jack, lui, s’en fichait. Elle n’avait pas besoin d’être forte, puisqu’il était là pour la protéger. Et puis, c’était justement cette frêle constitution qui la rendait si jolie par rapport aux autres filles du programme. Il aimait la comparer à une délicate fleure de cristal qu’il se devait de défendre à tout prix contre tous les périls de l’univers. Son rôle de chevalier lui allait à merveille, et c’était ce qui permettait à Rei de vouloir continuer à vivre.

- Ne t’inquiète pas, lui dit Jack en la prenant dans les bras pour la consoler. Toi aussi tu grandiras pour devenir plus forte.

Rei resta silencieuse jusqu’au moment où une larme coula sur sa joue et qu’elle se mis à sangloter. Jack était le seul à être témoin de ces rares moments où toute l’émotion que la jeune fille gardait enfermée en elle ressortait comme un vase se remplissant constamment et qu’on vide toujours en secret avant qu’il ne déborde au grand jour. Elle conservait toujours une incroyable quantité de tristesse et de chagrin qu’elle ne pouvait libérer que devant lui, car il était la seule personne à en comprendre la raison.

Jack la laissa pleurer dans le creux de son épaule tandis qu’il lui caressait ses beaux cheveux bleus. Cela dura une bonne minute avant que les larmes et les pleures se tarissent. Et même après cela, les deux enfants restèrent ainsi immobiles pendant un long moment, sans avoir à échanger un seul mot.

Puis un signal sonore retenti brièvement : l’heure d’isolement venait de se terminer. Il était temps de retourner en cours avec les autres.

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1737 heures, 14 mars 2521 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach, aile ouest du CHÂTEAU.

Le docteur Halsey visionna une nouvelle fois l’enregistrement vidéo pris depuis les caméras de surveillance soigneusement dissimulés dans la salle d’entraînement privée des sujets 114 et 115. Même Mendez ignorait l’existence de ces dispositifs de surveillance, qu’elle utilisait à la seule fin d’évaluer l’état de ces deux recrues si particulières. Leur état psychologique était tout aussi important que leurs perfectionnement physique, surtout en ce qui concernait Rei dont la fragilité mentale n’était maintenue intacte que par les efforts constants de son binôme. La preuve en était de ces pleures qu’elle ne montrait qu’à lui seul, du moins c’est ce qu’elle croyait.

La scientifique savait qu’elle ne devait pas faire preuve de favoritisme envers l’un ou l’autre de ses spartans, car il s’agissait bien de ses spartans. Pourtant, il y avait quelque chose chez ces deux enfants qui les rendait tellement particuliers, tellement uniques, tellement… humains.

Pour une raison qu’elle ne parvenait pas à identifier clairement, le programme d’endoctrinement n’avait aucun effet sur eux. Cela était le cas pour plusieurs autres spartans dont l’esprit était trop différent de ceux des enfants normaux, comme Rei. Jack n’avait nullement une mentalité aussi complexe, mais il ne faisait aucun doute qu’il n’ait hérité de l’immunité de sa partenaire à travers le lien qui les unissait si étroitement.

Le docteur Halsey se demanda brusquement s’il était possible que ces spartans se retournent un jour contre le CSNU. Beaucoup d’entre eux pouvaient nourrir une haine secrète contre ceux qui les avait arraché à leurs familles, mais le programme d’endoctrinement était sensé supprimer ce risque. Or, ce programme avait clairement montré ses limites. Pour la plupart des spartans réticents à l’endoctrinement, c’était un risque plutôt acceptable et qui pourrait probablement servir comme base d’information utile pour une éventuelle deuxième génération de ces super-soldats. Mais les sujets 114 et 115 étaient trop précieux pour être négligés ainsi. Sans eux, le projet Aegis deviendrait irréalisable et tous les efforts qui avaient été mis en place pour cela auraient été vains.

C’est pourquoi elle devait s’assurer qu’ils ne deviendraient jamais une menace pour le CSNU. Et elle ne connaissait qu’un seul moyen pour cela.

- Déjà ! fit-elle en se tournant vers l’afficheur holographique de son intelligence artificielle. Les recrues 114 et 115 sont-ils présents à ton cours ?

- Affirmatif, docteur.

- Dit-leur de venir me voir à mon bureau dès que tu auras terminé.

- Comme vous voudrez.

La-dessus, la scientifique donna congé à son IA. Elle se tourna ensuite vers son ordinateur et lança le programme de communication, avant d’entrée le numéro d’accès vers un autre ordinateur se trouvant quelque part sur la station médicale privée de l’ONI qui orbitait au-dessus de Reach. Quelques secondes plus tard, l’écran afficha l’image d’un homme d’une quarantaine d’année habillé en blouse blanche. Une barbe noire de quelques jours étoffait son visage carré, tandis que ses cheveux en désordre achevaient de lui donnait une apparence de scientifique fou des vieux films du vingtième siècle. Il était clairement épuisé. Ses yeux verts parurent cependant reprendre vie à la vue du docteur Halsey, et il afficha aussitôt un sourire enjoué :

- Bonjour, Catherine. Comment vas-tu depuis tout ce temps ?

- Mieux que toi apparemment, lâcha-t-elle avec ironie.

- Je suppose que tu souhaites savoir où est-ce que nous en sommes ici ? Comme tu peux le voir, on travaille jour et nuit sur la composition de cette nouvelle formule, mais les choses sont un peu plus compl…

- Ce n’est pas pour ça que je t’appelle, Ed. Je vais voir le sujet 115 dans quelques instants.

Immédiatement, le visage du scientifique devint profondément sérieux et distant.

- Oh… Je vois. Et donc ?

- Je compte lui expliquer toute la vérité sur ce programme et sur Aegis. C’est la seule option qui me reste pour nous assurer de sa participation au projet. Est-ce que tu souhaites que je laisse de côté certains détails ?

L’interlocuteur du docteur Halsey posa les mains des deux côtés de son ordinateur et baissa les yeux vers le sol, ses cheveux dissimulant alors complètement son regard. Il prit une profonde inspiration avant de poser à nouveau le regard sur son écran pour dire :

- Non. Dis-lui tout. De toute façon nous nous sommes déjà damné plusieurs fois pour ce programme. Et je pense que cela lui facilitera grandement les choses… et à moi aussi.

- Il ne va pas tarder à arriver. Est-ce que tu souhaites attendre qu’il soit là pour…

- Non ! l’interrompit immédiatement l’homme. Non, surtout pas. Je… ça serait beaucoup trop douloureux pour nous deux. Il vaut mieux que les choses restent comme ça… pour le moment.

- D’accord. Désolée, c’était juste une suggestion.

- Tu n’as pas à t’excuser, Catherine. Je comprends parfaitement… mais je pense que c’est encore trop tôt. Appelle-moi ce soir pour me dire comment il a réagi.

- Je le ferais. Promis. A ce soir, Edward.

- A ce soir, Catherine. Embrasse mon fils pour moi.

AEGIS


1742 heures, 14 mars 2521 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, Complexe militaire de Reach, planète Reach.

Ce fut avec une certaine appréhension que Jack pénétra dans le bureau du docteur Halsey. Contrairement à la plupart des autres enfants, il n’y était rentré qu’une seule fois, il y a quatre ans, lorsqu’il avait appris la vérité sur Rei. Cette dernière le suivant de près, tenant fermement sa main comme si elle craignait de tomber dans un précipice, un contact auquel Jack s’était habitué depuis longtemps mais qui avait sérieusement tendance à énerver l’adjudant-chef.
Le docteur Halsey les attendait, assise sur sa chaise de travail, un ordinateur portable ouvert posé sur le côté de son bureau. L’image scintillante de Déjà survolait un petit projecteur holographique disposé près du mur, juste sous un tableau blanc couvert de formules mathématiques beaucoup trop complexe pour les esprits des deux enfants.

- N’ayez pas peut, dit Halsey en leur faisant signe d’avancer. Venez, asseyez-vous.

Jack et Rei prirent place dans les deux chaises qui avaient été placées à un mètre devant le bureau de la scientifique. Elles étaient suffisamment rapprochées l’une de l’autre pour leur permettre de continuer à se tenir la main et les aider à rester en confiance, une chose dont Halsey avait cruellement besoin pour ce qui allait suivre.

- Vous savez pourquoi je vous ai fait venir ici ? leur demanda-t-elle d’un ton nonchalant.

C’était une question-test qu’elle avait l’habitude de poser à ses spartans lorsqu’elle les voyait en privé. Aucun d’entre eux n’avait jamais la bonne réponse, mais chacun pouvait avoir ses petits problèmes personnels dont il souhaiterait parler, même inconsciemment afin de se sentir mieux. C’était ainsi qu’elle évaluait leur santé mentale à travers les besoins qu’ils exprimaient en répondant à cette question. Et dans le cas de ces deux enfants, il y avait déjà trois ou quatre sujets auxquels elle s’attendait. Mais la réponse de Rei la laissa presque sans défense :

- Vous pensez qu’il est temps de nous expliquer pourquoi nous avons été choisis pour devenir des spartans, c’est bien ça ?

Alors qu’elle faisait de son mieux pour ne pas paraître déstabilisée, Halsey hésitait entre deux hypothèses : soit la jeune fille se posait trop souvent cette question à elle-même ou à Jack, soit elle était incroyablement intelligente. Au vue de sa moyenne de résultats aux tests scolaires de Déjà et d’après le sérieux absolu qu’elle affichait, cette deuxième théorie semblait être la plus probable. Une perspective plutôt prometteuse pour le programme, mais qui n’avait pas manqué de surprendre la scientifique.

- C’est exacte, Rei, dit-elle simplement dans un sourire.

Halsey n’avait jamais tenté de discuter seule à seule avec cette spartan. D’abord parce que cela l’aurait obligé à la séparer de Jack, une décision extrêmement difficile autant dans le concept que dans son application et dont les conséquences pourraient être tout bonnement désastreuses. Ce projet avait déjà échappé à la catastrophe une fois, et cela lui avait largement suffit. Mais il y avait aussi une autre raison, bien qu’elle avait du mal à l’admettre : elle voulait avoir le moins d’influence possible sur Rei. Elle ne savait que trop bien comment les spartans réagissaient à sa vue : ils étaient tous subjugués, intrigués ou ébahis selon leur profil mental, ce qui était sans doute une action de transposition du personnage de leur mère par réaction à la dure personnalité de l’adjudant-chef Mendez et des durs entraînements physiques qu’il leur imposait. De plus, ils avaient tous gardé le souvenir du jour où elle était venu les voir sur leur monde natal, peu avant d’être enlevé par les hommes de l’ONI. Ce souvenir était profondément ancré dans leur mémoire et faisait partie de ces quelques instants magiques auxquels ils se raccrochaient dans les moments les plus pénibles.

Mais Rei, elle, n’avait jamais vu le docteur Halsey avant aujourd’hui. Cette première rencontre que la jeune femme avait offerte à tous les autres spartans, Rei n’en avait pas bénéficié. Car il avait été complètement impossible au docteur Halsey de pénétrer dans l’orphelinat où cette enfant était secrètement entraînée par Damoclès sans attirer immédiatement l’attention de cette terrible organisation et ainsi mettre en péril tout le programme SPARTAN-II. Il avait déjà été extrêmement difficile et coûteux d’arracher Rei à cet orphelinat, une chose que Damoclès ne laissera pas se reproduire une deuxième fois. Il n’y aura pas d’autres chances. Soit Rei parvenait au bout de ce programme, soit… le docteur Halsey préféra ne pas y songer.

- Jack, dit-elle en faisant attention à rester calme. Est-ce que tu te rappelles ce que je t’ai raconté à propos de Damoclès ?

- L’organisation des assassins ? répondit le garçon. Oui, bien sûr.

- Actuellement, ils restent discrets et interviennent très peu dans la politique du CSNU. Ils ne veulent pas prendre partie dans la guerre contre les rebelles et tentent de rester neutres comme ils l’ont toujours été. Mais ce conflit prend des dimensions telles qu’ils ne pourront plus l’ignorer beaucoup plus longtemps. Ce n’est qu’une question d’années avant qu’ils ne se décident à choisir un camps, et alors que les rebelles seraient ravis de pouvoir compter sur leur soutient, le CSNU n’accepterait jamais de s’associer avec une telle organisation.

- Mais vous aviez dit qu’ils marchaient au contrat ? Les rebelles ont-ils les moyens de les payer pour assassiner des hauts membres du CSNU ?

- Les moyens de l’ennemi sont bien suffisants pour leur permettre de mettre un contrat sur les têtes de tous les officiers supérieurs de notre armée, même les membres du Haut Commandement. Si Damoclès accepte de travailler avec eux, la guerre serait terminée en moins d’un an et l’empire de l’humanité cesserait d’exister.

Les deux enfants enregistraient ces informations avec beaucoup de calme et de concentration. Ils avaient reçu de solides enseignements en histoire, géopolitique et opérations militaires diverses grâce à Déjà, dix fois plus que ce qu’un enfant normal pouvait apprendre à leur âge. Les anciens seigneurs de guerre de la Terre sacrifieraient sans aucune doute un millier de leurs soldats pour avoir un seul de ces spartans, et ils étaient pourtant encore loin d’avoir terminé leur formation. Halsey était fière d’eux, et c’était pourquoi elle voulait garder leur confiance.

Confortée dans sa décision, elle continua son exposé :

- Est-ce que vous savez ce qu’est l’Egide ? demanda-t-elle aux deux enfants.

- C’est une arme mythique, non ? fit Jack en fronçant des sourcils. Une sorte de bouclier ou d’armure détenue par Zeus, puis par Athéna, dans la mythologie grec antique.

- En effet. Ce bouclier est sensé protéger son porteur contre toutes les attaques terrestres ou célestes, même les plus puissantes. En anglais, on le nomme Aegis.

« Il y a maintenant dix ans, lorsque j’ai mis au point le programme SPARTAN-II, j’y ai inclus un projet très particulier que j’ai nommé Aegis. Ce projet a pour but de détruire totalement l’organisation de Damoclès pour débarrasser l’humanité de ces assassins. Il consistait à recruter comme spartan une enfant entraînée jusqu’à l’âge de sept ans par Damoclès, puis à lui assigner un coéquipier qui lui servirait de soutient psychologique afin de créer l’équipe de parfaits anti-assassins.

« Vous êtes les deux spartans destinés à former l’équipe Aegis.

Ni Rei ni Jack n’esquissa le moindre mouvement qui puisse être interprété comme de la surprise. Ils étaient étonnamment mûrs par rapport aux autres enfants du programme, un caractère que Halsey avait immédiatement repéré chez Rei et qu’elle avait sans doute transmis à son coéquipier tout au long de ces années.

- Rei, dit-elle à la jeune fille. Tu as attiré notre attention dès que notre espion a franchis les murs de l’orphelinat Notre Dame des Martyres sur Eridios. Tu étais la meilleure parmi tous les enfants de ton âge, mais tu avais également un profil psychologique qui nous permettait d’espérer sérieusement pouvoir te faire comprendre quel combat était le plus juste. Tu étais la candidate idéale.

Halsey savait parfaitement que ce n’était pas avec de la flatterie qu’elle allait gagner la confiance de Rei, mais elle ressentait le besoin de lui dire ces choses car c’était réellement ce qu’elle pensait. L’honnêteté était la seule carte dont elle disposait dans cet échange, et elle comptait bien l’utiliser au maximum.

- Tu ne te souviens pas de grand-chose par rapport au jour où nous t’avons enlevé, continua Halsey, mais cela n’a pas été chose facile. Nous avons été obligé de te prendre de force tout en camouflant cela derrière une opération anti-rebelle standard, et il y a eut de nombreux morts.

- Combien ? demanda la jeune fille.

Rei avait un don pour trouver les mots qui déstabilisaient ses interlocuteurs. Ses instructeurs n’osaient presque pas lui parler, et même Mendez prenait des pincettes lorsqu’il s’adressait à elle personnellement. Jack semblait être le seul épargné par cette curieuse faculté, si l’on exceptait Déjà dont les inhibiteurs d’émotion la mettait complètement à l’abri de ce genre de fragilité.

Cherchant à garder les idées clairs, le docteur Halsey fouilla dans sa mémoire et trouva le chiffre exacte :

- Soixante-sept, dont trente-deux marines.

- Qu’est-il arrivé aux autres enfants de l’orphelinat ?

- Ils… les agents de Damoclès les ont tué avant qu’on ne puisse les mettre en sûreté. Je suis sincèrement désolée. Nous ne pouvions sauver qu’une personne et c’est toi que nous avons choisie.

Rei demeura totalement impassible, mais Halsey savait que cette nouvelle devait l’affecter quelque part, car sinon elle n’aurait pas posé la question. Le contrôle que la jeune fille avait sur ses émotions était parfait. Une chose qui lui serait sans doute extrêmement utile pour le rôle qu’elle jouerait d’ici quelques années. Halsey ne doutait pas que le projet Aegis pouvait parfaitement réussir… s’ils survivaient tout les deux aux augmentation corporelles.

Mais elle préféra rester concentrer sur les deux enfants et passa alors au cas du garçon, qui allait sans doute être plus difficile :

- Quant à toi, Jack. Et bien… c’est ton père qui m’a parlé de toi en premier.

- Mon père ? fit-il avec une surprise non dissimulé.

- Savais-tu quel travail il faisait sur Caladan avant que tu ne viennes ici ?

Jack hocha la tête en signe de négation. Les souvenirs qu’il avait de sa jeune enfance sur sa planète natale étaient très peu nombreux et extrêmement flous. Il s’agissait plus d’une collection de sensations et d’images toutes mélangées au fond de sa mémoire et qu’il n’avait jamais tenté de réorganiser. A bien y réfléchir, il n’avait pas dû penser à cette période de sa vie depuis un très long moment.

- A cette époque, continua Halsey, il travaillait déjà pour moi en tant que scientifique du département de recherche et développement de la Section 3 de l’ONI. Nous étions bons amis et il me parlait souvent de toi. Il m’expliquer comment ta mère et lui avaient pris personnellement en charge ton éducation afin de faire de toi quelqu’un de bien, une personne à l’esprit pur imprégné des préceptes les plus importants de l’Homme, et il me racontait comment tu avait dépassé leurs espérances sur tous les points.

« Un jour, je lui ait dit que si tu n’étais pas son fils, je t’aurais intégré au programme SPARTAN-II sans hésitation. C’était une manière pour moi de lui dire que je l’enviais vraiment d’avoir un enfant comme toi, et je pense que c’est comme ça qu’il l’a compris sur le moment. Mais quelques semaines plus tard, il m’a appris que les autorités l’avait obligé à t’envoyer à l’école et que cela ne se passait pas bien entre toi et les autres enfants.

Jack laissa s’échapper une expression de douleur intérieure alors que certains de ses vagues souvenirs refaisaient surface et il baissa légèrement les yeux, mais Rei serra alors plus fortement la main du garçon et cela suffit à lui faire oublier ces durs moments passés. Halsey était émerveillée par la formidable entraide qu’il y avait entre ces deux spartans. Peu d’éléments étaient en aussi parfaite symbioses qu’eux.

- Quelques temps plus tard, continua la scientifique, ton père vint me voir pour me dire qu’il avait de grandes craintes te concernant. Il redoutait que toute l’éducation que tu avais reçu jusque là soit irrémédiablement perdue et c’est pourquoi il me demanda de t’inscrire sur la liste des candidats du programme SPARTAN-II. Au début, j’ai hésité, mais il semblait tellement sûr de sa décision que j’ai finalement accepté.

« Afin de ne pas montrer aux autorités de l’ONI que je t’avais recruté sur demande d’un ami, depuis cet instant je t’ai toujours considéré comme un simple sujet de ce programme et je ne t’ai donné aucun traitement de faveur. Je t’ai donc rendu visite sur Caladan comme tous les autres candidats, puis tu as été enlevé à tes parents et remplacé par un flash-clone qui est mort peut de temps après.

Le simple fait d’énoncer ces actes faisaient remonter en Halsey un profond sentiment de culpabilité. Elle n’était pas fière de ce qu’elle avait été obligée de faire pour obtenir ses spartans, loin de là. Pourtant elle savait qu’elle avait pris la bonne décision. Elle avait fait ce qui devait être faire, et si c’était à refaire, elle recommencerait sans hésiter.

- Tu étais le sujet idéal pour le projet Aegis. Je n’arrivais pas à me l’avouer avant que ton père ne me demande de te prendre dans le programme, mais personne d’autre n’aurait pu devenir un meilleurs coéquipier pour Rei. Je sais à quel point tu l’aides à garder le moral et à continuer de se perfectionner. Tu es vraiment devenu un parfait chevalier pour elle.

Jack sourit légèrement à cette appellation. Il tenait beaucoup à ce titre et le rappelait souvent à Rei lorsqu’il assurait son rôle de protecteur. Cependant il ne se laissa pas flatter aussi facilement :

- Donc si j’ai bien compris, dit-il en fixant Halsey droit dans les yeux, vous nous avez choisi pour éliminer Damoclès. C’est exact ?

- C’est exact, Jack. Vous devrez découvrir les différentes cellules secrètes de l’organisation et les neutraliser les unes après les autres.

- Et est-ce qu’on a déjà une piste ou un semblant d’information à exploiter pour cela ?

Halsey tourna alors lentement son regard vers Rei, d’un air qui en disait long sur ses craintes, et la jeune fille ne mit pas longtemps à les comprendre :

- Ils me recherchent, c’est ça ? Depuis combien de temps ?

- Depuis que nous t’avons enlevé, répondit Halsey. Les pistes ont été suffisamment brouillées pour qu’ils ne retrouvent pas ta trace, mais dès que ta formation ici sera terminée, tu seras dévoilée au grand jour et ils sauront alors où te trouver. Il est très probable que leur première réaction logique soit de t’éliminer.

- Et vous comptez attendre qu’ils envoient leurs assassins la tuer ? s’emporta brusquement Jack en se levant de sa chaise. Qui pensez-vous qu’ils vont charger de faire ce boulot, un assassin de seconde zone ? Non, ils vont envoyer une équipe d’extermination complète ! Et alors quelles seront nos chances face à eux ?

- C’est pourquoi je dois vous parler des augmentation corporelles.

Le silence s’installa aussitôt dans le bureau du docteur Halsey. La scientifique avait parfaitement conscience que le fait d’apprendre à ces enfants ce qu’on allait leur faire subir risquait de mettre en péril le programme tout entier. Cependant, ces deux spartans ne se mêlaient jamais aux autres, sauf s’ils y étaient forcés lors des missions spéciales que leur confiait l’adjudant-chef Mendez. Ils étaient capables de tenir un secret, quitte à en faire une consigne de sécurité :

- Ce que je m’apprête à vous dire ne dois pas sortir de cette pièce. Si quelqu’un d’autre venait à connaître ces informations, je vous tiendrais pour responsables et je chargerais personnellement l’adjudant-chef de vous appliquer les sanctions adaptées. Est-ce bien clair ?

Les deux spartan acquiescèrent en silence.

- Bien. Le département de recherche et de développement que je dirige travaille actuellement à l’élaboration de procédé bio-chimiques destinées à améliorer certaines aptitudes chez l’homme. Ton père est justement à la tête de l’équipe charger de ces recherches, Jack. Il a fait un excellent travail, et nous avons de bonnes raisons de penser que ces augmentations corporelles vous permettront de décupler votre potentiel de combat.

« Mais ces améliorations comportent encore d’énormes risques, allant de la destruction irréparable des os à la cécité permanente, voir même la mort. A l’heure actuelle, nous sommes incapables de savoir si ces risques pourront être diminués pour le jour où vous devrez subir le procédé d’augmentation corporelle. Mais vous devez vous préparer au mieux et vous maintenir dans la meilleur forme physique et mentale possible afin d’augmenter vos chances. Vous êtes la seule équipe Aegis que nous avons et c’est pourquoi je dois tout faire pour m’assurer que vous survivrez.

- Et si nous survivons, qu’est-ce que ces augmentations nous offrirons ?

- Vous aurez un squelette presque incassable, une musculature supérieure à celle de n’importe quelle autre humain, une croissance des tissus musculaires et osseux accélérée, votre perception visuelle sera nettement améliorée et vos réflexes seront multipliés par trois. Il est également possible que votre intelligence, votre mémoire et votre créativité soit également renforcées par le procédé.

Jack et Rei échangèrent un regard d’approbation : ces améliorations de leur physiologie étaient les atouts dont ils auraient besoin pour affronter les assassins de Damoclès. Halsey pouvait voir dans leur regard qu’ils avaient foi en elle et en son programme.

- Nous allons continuer notre entraînement encore plus durement, madame, annonça Jack. Je vous jure que nous ne vous décevrons pas.

- Très bien. Vous pouvez disposer.

Alors que les enfants étaient sur le point de sortir, Halsey sentit soudain le besoin de demander :

- Jack ! Est-ce que tu as un message que tu voudrais que je donne à ton père ?

Le garçon ne se retourna pas lorsqu’il répondit :

- Dites-lui que je comprends pourquoi il a accepté que vous me choisissiez. Et dites-lui que s’il veut me faire un beau cadeau, qu’il travaille dure pour diminuer les risques du procédé d’augmentation. Si j’y survie, peut-être que j’irai le voir.

- Je lui transmettrai.

- Et madame, fit le garçon en se retournant pour montrer la volonté qui brûlait sur son visage. Merci de nous avoir expliquer tout ceci. Maintenant nous savons d’où nous venons et nous savons où nous allons. Maintenant nous avons un but.

DÉCOUVERTS


2336 heures, 6 mars 2525 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, région montagneuse de Darkwood, planète Reach.

Ils avançaient avec la discrétion et l’agilité des félins, aussi silencieux et invisibles que des ombres. L’obscurité créée par les épaisses frondaisons de la forêt stoppant les éclats du soleil de fin d’après-midi les dissimulait parfaitement dans cet environnement de riche végétation, tandis que les mousses et les herbes grasses étouffaient grandement le bruit de leurs pas rapides et assurés. Ils auraient pu passer à trois mètres d’une patrouille qu’ils n’auraient même pas été détectés, si ce n’est aux capteurs de mouvement.
Dans leurs combinaisons thermo-isolantes recouvertes par leur tenue légère noire, Jack et Rei savouraient cette sensation de liberté quasi parfaite qui leur avait été accordée pour la durée de cet entraînement. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas eut l’occasion de tester leur furtivité au grand air dans des environnements naturels, où il fallait continuellement s’adapter au décor pour rester caché. Ils avaient d’ailleurs convenue d’une course entre eux pour savoir qui arriverait à l’objectif le premier sans se faire repéré, bien qu’ils soient incapables de se distancer de plus d’une dizaine de mètres. Lorsque l’un d’eux creusait une avance un peu trop grande, il ralentissait l’allure pour permettre à l’autre de le rattraper.

Depuis ce fameux jour où Jack avait fait le serment de protéger Rei par-dessus tout, les deux adolescents ne s’étaient plus jamais séparé plus de quelques instants. Ils partageaient entre eux chacun instant de leur existence, chaque pensée, chaque émotion qui les traversaient pour être en parfaite harmonie l’un avec l’autre. Leurs vies étaient liées, leurs esprits unifiés, leurs âmes fusionnées. Le personnel chargé de les encadrer pensait qu’il existait une sorte de lien télépathique entre ces deux spartans, qui leur permettait de voir ce que voyait l’autre, de penser de la même manière et d’agir en parfaite coordination sans avoir à échanger un seul mot. Au début, le docteur Halsey ne voulait pas croire à ces racontars, mais au fil des quatre ans qui avait suivi la création officielle de l’équipe Aegis, elle avait commencer à douter.

Pour cette journée, l’adjudant-chef Mendez avait confié aux recrues 114 et 115 un exercice d’entraînement un peu plus difficile que ce qu’ils avaient l’habitude de connaître jusque là. Il s’agissait d’une opération d’infiltration dans un bunker souterrain très bien gardé situé en pleine zone militaire pour aller y voler des documents fictifs prévus pour cette mission, puis de les ramener au camp. Et bien entendu, ils devaient faire tout cela le plus discrètement possible, mais pour pimenter un peu la mission, les deux spartans ne disposaient d’absolument aucun matériel : les combinaisons thermo-isolantes et leurs tenues noires étaient les seules choses qu’ils avaient sur eux. Pour n’importe quel soldat, ce handicap aurait considérablement réduit les chances de réussite, mais pour Jack et Rei comme pour tout spartan, cela ne changeait absolument rien. Au contraire, avoir à porter du matériel supplémentaire aurait limité leur rapidité et leur agilité, les deux seuls paramètres sur lesquels ils avaient besoin de compter pour réussir cette mission.

Alors qu’il avançait en courant entre les arbres, Jack ressenti une présence devant lui, à une dizaine de mètres à peine. Il corrigea immédiatement sa trajectoire et Rei en compris immédiatement la raison et fit de même sans un bruit. Le tireur embusqué qui surveillait la zone depuis le haut d’un arbre ne s’aperçut même pas qu’il avait été repéré et évité aussi facilement. C’était le onzième qu’ils rencontraient depuis le début de la mission et la traversée de Darkwood. Ils avaient également esquivé cinq patrouilles, dont deux avec des chiens de combat, ainsi que trois équipes de repérage avec lunettes infrarouges et détecteurs de mouvement. Il était fort probable que tout ce déploiement de moyen ait été fait selon les ordres de Mendez.

Malheureusement pour l’adjudant-chef, les deux spartans adoraient ce genre de défi.

Il leur fallu plus de trois heures pour parcourir les 48 kilomètres séparant le campement des spartan et le bunker qu’ils étaient chargés d’infiltrer. Cela les amena au crépuscule, le moment idéal car il faisait encore suffisamment jour pour que les projecteurs ne soient pas allumés, et suffisamment sombre pour se faufiler à travers les défenses. Vu depuis l’extérieur, c’était une base extrêmement bien protégé, avec une double enceinte grillagée surmontées de passerelles de surveillances et de miradors qui entourait une demi-douzaine de bâtiment avec, adossé à une falaise creusée dans la montagne, l’entrée du complexe souterrain. Il devait y avoir là un bataillon entier de militaires pour garder cet endroit, sans compter le personnel civil qui y travaillait, ce qui faisait un bon paquet de paires d’yeux et d’oreilles à mystifier.

En quelques instants, Jack et Rei avaient analysé en détaille les défenses de la base et anticipé le parcours de toutes les patrouilles en vue pour les dix prochaines secondes. Cela ne servait à rien d’observer plus longtemps, car Mendez ordonnait tout le temps aux soldats de suivre des trajectoires aléatoires afin que les spartans ne puissent pas les éviter aussi facilement. Une fenêtre d’entrée se profilait sur la droite du complexe, et Jack s’y précipita aussitôt, suivi silencieusement par sa coéquipière. Ils longèrent la lisière de la forêt, puis traversèrent en un rien de temps la centaine de mètres de terrain découvert qui les séparaient du premier grillage. Celui-ci faisait un peu plus de trois mètres de haut. Il était surmonté d’une double spirale de barbelés et il y avait de grandes chances pour qu’il soit entièrement électrifié, mais ce n’était pas un obstacle pour des spartans.

Lorsque Jack arriva à quelques mètres de l’obstacle, il s’agenouilla et uni ses deux mains pour les présenter à Rei qui courrait dans sa direction. Lorsqu’elle posa son pied droit sur cette marche improvisée, le garçon utilisa son élan pour la catapulter par-dessus l’enceinte et elle atterrit d’une roulage entre des véhicules warthogs garés en ligne de l’autre côté. Jack pouvait sauter au-dessus de ces périmètre de défense sans problème grâce à son entraînement, mais Rei était beaucoup trop faible pour pouvoir accomplir une telle prouesse, et c’est pourquoi il avait dû l’aider d’abord. Il était sur le point de la rejoindre en qu’il remarqua une étrange irrégularité dans le grillage à sa droite.

Prenant quelques instants de son temps précieux pour examiner cela de plus prêt, il s’aperçut que la grille avait été soigneusement découpée puis remise en place. La même chose était visible sur l’enceinte intérieure. Qui avait fait cela ? Une autre équipe de spartan ? Possible. L’adjudant-chef pouvait avoir donné la même mission quelques jours plus tôt à Blue Team, par exemple, afin de voir à quel point ils étaient bons, mais en leur autorisant de porter du matériel d’infiltration pour les aider un peu.

Blue Team était, selon les évaluations notées par Déjà, l’équipe de spartans la plus efficace et la plus polyvalente de tout le programme. Peu de choses pouvait leur résister, et il n’y avait pas une seule mission de l’adjudant-chef qu’ils n’aient pas réussi à accomplir haut la main. Ce groupe était composé de Sam-034 et Kelly-087 et était mené par John-117, un garçon que Jack avait du mal à supporter à cause de la chance insolente qui semblait le protéger continuellement, et qui semblait constituer sa principale force. Mendez avait John-117 en haute estime, bien qu’il fallait connaître très bien l’adjudant-chef pour savoir que sa façon de l’engueuler était sa façon à lui de le complimenter. Il y avait de bonnes chances pour que la recrue 117 soit nommée à la tête de tous les spartans lorsque leur programme d’entraînement prendrait fin, cependant Jack n’était pas sûr que cela soit une bonne chose. Pour lui, Frédérique-104 de la Red Team ferait un bien meilleur chef.

Mais ce n’était pas le moment de penser à cela. Ne voulant pas tenter la chance d’être électrocuté en utilisant l’accès découpé dans le grillage, Jack reparti en direction de la forêt pour attendre une nouvelle opportunité de passer. Depuis sa cachette végétale, il pouvait clairement voir Rei malgré l’obscurité crépusculaire qui entourait la jeune fille. Elle observa les environs puis lui fit signe que la voie était dégagée. S’élançant de toute sa force, Jack courut en direction du grillage et calcula le point de saut optimal et son angle d’approche, avant de bondir tel un fauve par-dessus la double enceinte. Lorsqu’il atterrit à côté de Rei, se réceptionnant dans une courte roulade pour amortire le choc et le bruit de son impact, un bang éclata dans son dos.

C’était les projecteurs des miradors qui s’allumaient.

- Ça te plaît tellement de faire ça ? lui demanda Rei sur un ton de taquinerie.

- Tout ce que je peux faire pour t’épater me plaît, avoua-t-il dans un sourire.

Sans rien ajouter, il glissa contre la carrosserie d’un warthog et examina l’intérieur de la base. L’entrée du bunker, grande ouverte, se trouvait à quelques centaines de mètres derrière une belle collection d’équipes de surveillances, de tourelles de défense automatiques et de molosses en patrouille. Le parcours d’obstacle habituel.

- Tu veux attendre le changement d’équipe ? fit Rei.

- Ça serait trop facile. On va y aller maintenant. Suis-moi !

- Non, fit la jeune fille en le saisissant par le bras. Cette fois-ci, c’est moi qui vais te guider. Comme ça au moins tu auras une excuse pour me regarder.

Sur ces mots, Rei se précipita vers le bâtiment de l’infirmerie qui se trouvait non loin. Ses pas étaient à peine audibles et n’importe qui aurait cru qu’il s’agissait simplement du vent battant les herbes hautes. Une patrouille à sa gauche bifurqua brusquement pour se diriger dans sa direction, mais celle située à sa droite changea également de trajectoire pour s’éloigner. Rei se glissa dans le dos des militaires telle une ombre et continua sa route, Jack sur ses talons. Si elle avait eut une lame, elle aurait pu tuer les cinq hommes sans qu’ils aient eut le temps de comprendre ce qui leur arrivait.

Le projecteur d’un mirador tourna lentement dans sa direction tandis qu’une autre patrouille s’approchait. Sa seule option fut de se dissimuler derrière une large caisse de munitions qui avait été posée là, et Jack la rejoignit juste avant que le rayon de lumière ne l’atteigne. Les deux adolescents profitèrent de cette courte attente pour se regarder l’un l’autre en souriant. Cette base était leur terrain de jeu, un univers fait de lignes de vues, de rayon de détection et de décibels qu’ils percevaient et ressentaient à un niveau exceptionnel et où ils dessinaient à chaque instant leur parcours d’insertion tout en prenant en compte les actions de l’autre. Pendant une brève seconde, Jack serra la main de Rei comme il avait l’habitude de le faire : d’une main douce, chaleureuse, rassurante, une main qui parlait plus que tous les mots du monde.

Puis Rei repartit en direction de l’entrée du bunker, entraînant le garçon derrière elle. Une patrouille canine menaçait de la détecter sur sa gauche et elle fit alors un détour pour ne pas avoir le vent dans le dos. Sa combinaison retenait la plupart des phéromones de son odeur corporelle, mais elle ne voulait pas mettre au défit l’odorat développé de ces chiens de combat. Elle passa alors dans le dos d’une tourelle de défense automatique, dont les capteurs thermiques n’avait aucune chance de détecter un signal aussi faible que le sien, puis rampa sous un camion de transport pour s’offrir un moment de répit avant la dernière ligne droite.

- Comment ça se présente ? demanda Jack alors qu’il rampait à son tour pour la rejoindre.

- Cinquante mètres. Un garde de chaque côté. Il nous faut une diversion.

- Je l’ai déjà préparée, répondit le garçon en consultant sa montre. Dix-sept secondes.

- Si longtemps ? Aurai-tu sous-estimé mes capacités, par hasard ?

- Non : j’avais compté que c’était moi qui passait devant.

Au bout du temps prévu par Jack, l’un des warthogs garés près de l’enceinte grillagée toucha cette dernière et l’électricité qui y circulait emplit le véhicule qui vit ses instruments griller complètement. Jack avait desserré le frein à main juste ce qu’il fallait pour que la légère pente le conduise vers le grillage et cause ce bouquant qui alerta tous les soldats de la base. Les deux gardes qui surveillaient l’entrée du bunker tournèrent le regard l’espace de quelques secondes pendant lesquelles les deux spartans traversèrent les cinquante mètres de distance qui les séparaient de la porte et se glissèrent dans leur dos sans un bruit.

Ils étaient entrés.

- Et bien c’était du gâteau, commenta Rei. Je me demande où est-ce que le chef a planqué sa surprise.

Car il y avait un truc à savoir à propos des exercice d’entraînement de l’adjudant-chef Mendez : il y avait TOUJOURS une surprise. Et pour ce genre de chose, contrairement à ce que l’on pouvait penser, il était extrêmement inventif.

Les deux spartans avancèrent dans le large tunnel d’entrée de dix mètres de large, utilisant les maigres zones d’ombre subsistant entre les lampes d’éclairage, jusqu’à arriver devant un énorme monte-charge pouvant aisément transporter deux véhicules super-lourd de type Eléphant. La plate-forme n’était pas à ce niveau, mais ce n’était pas ça qui allait les arrêter. Ils s’appuyèrent sur les deux parois d’un coin de l’énorme puit rectangulaire, coinçant alternativement leurs deux jambes et leurs deux bras pour descendre lentement jusqu’au niveau inférieur. D’après les ordres de mission de l’adjudant-chef, les documents à récupérer se trouvaient dans l’aile Ouest de ce niveau, dans le bureau du responsable de la sécurité interne.

Bien entendu, l’épaisse porte blindée séparant le puit du niveau inférieur était fermée, mais Jack et Rei n’étaient pas stupides au point de chercher à l’ouvrir eux-même. Ils pénétrèrent par l’un des quelques conduits d’aération accessibles depuis leur position, et débouchèrent dans un petit local rempli d’armoires électriques, le genre d’endroit que les techniciens visitaient à peine deux fois dans la journée. Les deux enfants s’extirpèrent du conduit en silence, puis Jack posa son oreille contre la porte d’accès après avoir vérifié que la salle n’était pas insonorisée. Il n’entendait absolument rien à part le bourdonnement des armoires derrière lui.

Le garçon tourna la poignée et entrouvrit la porte pour jeter un coup d’œil à l’extérieur. Personne. Tel un félin, il se glissa au dehors et se dirigea vers l’Ouest. Quelques mètres plus loin, il trouva un plan de ce niveau de la base accroché au mur et le photographia instantanément dans son esprit. Automatiquement, il estima le nombre de gardes qu’il devait s’attendre à trouver et leurs positions les plus probables.

Mais tout au long de leur cheminement à travers le complexe souterrain, les spartans ne rencontrèrent absolument personne. Même aux positions les plus stratégiques, il n’y avait pas le moindre signe de vie. Les couloirs étaient déserts, silencieux, morts. Quelques signes d’activité récente étaient dispersés ça et là, comme un ordinateur allumé ou un café froid au fond d’une tasse, mais il n’y avait personne en vue.

- J’ai comme l’impression que la surprise du chef n’est pas loin, lâcha Jack nerveusement.

- Jack… murmura Rei dans un tremblement. Je… je n’aime pas ça. J’ai un mauvais pressentiment.

- Ne t’inquiètes pas, fit-il en lui prenant la main pour la rassurer. Je suis là. Reste derrière moi et surveille nos arrières.

Les deux spartans continuèrent leur progression en redoublant de vigilance, et à part quelques caméra de surveillance qu’il leur fallut contourner, rien ne vint s’opposer à eux. Ils arrivèrent finalement devant le long couloir d’accès menant à l’aile l’Ouest du complexe. C’était un couloir d’environ deux mètres de large, assez haut de plafond sans aucune autre décoration que les portes situées à chacune de ses deux extrémités. L’endroit parfait pour tendre un piège. Surtout qu’il s’agissait du seul accès possible vers l’objectif depuis ce côté de la base.

Jack hésita un instant sur le seuil de la porte, puis estima que si le chef avait voulu les faire échouer à tout prix, il aurait fait verrouillé tous les accès avec des codes d’authentification de niveau 3 et aurait placé une quinzaine de gardes avec détecteurs de mouvement dans ce couloir. Par simple précaution, il sortit de sa poche un petit sachet contenant de la poussière qu’il avait récolté durant leur cheminement à travers la forêt. Il en prit un petit peu et souffla dessus pour vérifier l’éventuel présence de lasers infrarouges derrière le cadre de la porte, mais rien n’apparut dans le nuage de poussière qu’il créa devant lui.

Suivit de Rei, le garçon s’avança alors dans le long couloir qui devait faire au moins trente mètres de long. Mais à peine en avait-il parcouru dix qu’une secousse se fit entendre. L’instant suivant, toutes les lumières s’éteignirent, plongeant les deux adolescents dans le noir le plus total. Jack voulu attendre que les générateurs de secours prennent le relais, mais cela n’arriva jamais. La base n’avait plus aucune alimentation. Les choses avaient pris une toute nouvelle tournure qu’il n’aurait jamais suspecté.

Si Mendez était derrière ça, cela signifiait qu’il avait décidé de sortir le grand jeu pour les mettre à l’épreuve. Ce n’était pas le moment de baisser sa garde, ni de se faire repérer bêtement. Portant sa main en arrière, il toucha la cuisse de Rei derrière lui. Avec son index, il lui transmis un message en morse :

« Mode perception. Dis-moi si présence. »

La jeune fille se concentra sur ses sens afin de repérer le moindre bruit ou la moindre variation dans l’air pendant que Jack retenait son souffle pour ne pas la perturber. Elle resta ainsi un long moment avant de finalement tapoter en morse sur l’épaule du garçon :

« Derrière porte devant. Une personne. Nous a repéré mais immobile. »

Quelques secondes plus tard, elle agrippa fermement Jack à la taille comme si elle se sentait sur le point de tomber. Elle tremblait comme une feuille sous le vent et cela ne manqua pas d’inquiéter le garçon au plus haut point. Il y avait très peu de choses dans cet univers qui pouvait faire peur à Rei, la plus efficace étant les fonds marins mais cela ne pouvait pas s’appliquer dans la situation présente. La perspective de savoir sa partenaire ainsi terrorisée lui faisait craindre le pire. D’un doigt tremblant qui laissait transparaître toute la terreur qui s’était soudain emparé d’elle, Rei tapota un dernier mot sur son épaule :

« Assassin »

CONFRONTATION


2036 heures, 6 mars 2525 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, aile Ouest du bunker souterrain de la région montagneuse de Darkwood, planète Reach.

Ainsi, le moment fatidique était finalement arrivé. Les agents de Damoclès avaient fini par retrouver la trace de Rei et avaient envoyé une équipe d’extermination pour l’éliminer. Jack avait espéré que cela n’arriverait pas avant qu’ils ne reçoivent les augmentations corporelles du docteur Halsey, toutefois il était extrêmement naïf de penser pouvoir dissimuler quelqu’un à Damoclès pendant tellement d’années. Cela faisait maintenant huit ans que Rei et lui étaient entraînés en secret sur Reach, ce qui constituait déjà un exploit remarquable. Mais maintenant, le destin les avait rattrapé et ils allait devoir y faire face avec toute la force et le courage qu’ils avaient reçu.
Jack avait toujours été conscient de ce danger, depuis le jour où Halsey leur avait dit que Rei était recherchée par Damoclès, et c’est pourquoi il s’y était préparé : d’un geste suffisamment lent pour ne pas faire de bruit, le garçon sortit du fourreau accroché à sa cuisse le couteau de combat qu’il gardait constamment sur lui. C’était l’adjudant-chef Mendez lui-même qui le lui avait donné afin de protéger Rei en l’autorisant à le garder sur lui en permanence, tant qu’il ne l’utilisait qu’en cas d’extrême danger.

Et en ce moment précis, cette lame prenait véritablement tout son sens.

Dans le même temps, Jack posa son autre main sur l’épaule de Rei et lui coda en morse :

« Recule jusqu’à la porte d’entrée. Je m’occupe de lui. »

La jeune fille ne répondit rien, mais Jack la sentit rapidement disparaître dans son dos, s’éloignant jusqu’à la protection offerte par le cadre de la porte derrière eux. Au moins elle serait à l’abris de cet assassin pour le moment. Tout dépendait uniquement de Jack, désormais.

Calmement, le garçon réfléchit à la meilleur manière d’engager le combat. Si l’assassin avait choisi cet endroit pour les attaquer, c’est probablement parce qu’il disposait d’une arme à feu pour les tuer de loin dès qu’il percevrait leurs présences. Il n’y avait absolument aucun autre moyen de l’approcher qu’en parcourant les vingt mètres de couloir qui restaient jusqu’à la porte d’en face, mais Jack n’avait aucun moyen de savoir jusqu’à quel distance cet homme pouvait sentir les mouvements autour de lui. Cela ne lui laissait qu’une seule option : courir.

Lentement, Jack se baissa pour prendre une position de départ, tel un coureur de fond dans un starting-block, avant de prendre une profonde inspiration. Cela lui permit de calmer son esprit et de se concentrer sur les trois à quatre secondes les plus intenses de sa vie. Il était l’un des spartans les plus rapides du projet, ce qui lui donnait quelques chances de surprendre suffisamment son adversaire pour l’engager au corps à corps. Il pouvait réussir. Il DEVAIT réussir. Ce n’était pas sa mort qui lui faisait peur, mais l’idée d’abandonner Rei aux mains de cet assassin. Elle pourrait sans doute se défendre, peut-être même le tuer, mais pas sans être elle-même blessée. Et s’il y avait bien une chose que Jack ne supportait pas, c’était l’idée que Rei soit blessée.

Dès qu’il se sentit prêt, le garçon partit comme une balle droit devant lui. Tout en calculant la distance qu’il lui restait à parcourir alors même qu’il avançait, il anticipa sur le temps de réaction de l’ennemi et plongea en avant pour éviter le premier tir. Il entendit une unique balle siffler au-dessus de sa tête mais ne se laissa pas intimider. Se réceptionnant par une roulade qui l’amène juste devant l’ennemi, Jack envoya son pied droit faucher les jambes de son adversaire de façon à le faire tomber non pas en arrière, mais en avant.

Le garçon présenta la pointe de son couteau de façon à ce que l’assassin s’empale dessus dans sa chute, mais la lame fut stoppée par quelque chose d’extrêmement dur. Ouvrant ses sens au maximum, Jack perçu que l’assassin face à lui tenait un pistolet dans sa main droite et qu’il s’apprêtait à faire feu. Vif comme l’éclair, le garçon saisit l’arme de sa main libre et utilisa l’élan de son mouvement pour tenter d’obliger l’homme à lâcher l’arme en envoyant sa main contre le cadre de la porte. Mais Jack avait mal estimé la position du décors autour de lui, et au lieu des doigts de l’homme, ce fut le canon du pistolet qui cogna contre le métal. Cette arme devait avoir été faite dans des fibres de carbone pour éviter sa détection par les capteurs de métal des spatioports, car elle vola en éclat au premier choc, laissant l’assassin désarmé.

Celui-ci poussa sur ses genoux pour s’éloigner de Jack au moyen d’une roulade en arrière. Le garçon redouta un instant que l’homme ne dispose d’une autre arme à feu et le transforme en passoire, mais ses sens lui indiquèrent qu’il sortit seulement deux dagues et se mit en position de combat. L’intuition de Jack lui disait que ces lames étaient sans doute empoisonnées, et que la moindre éraflure signifierait la mort ou la paralysie momentanée, ce qui revenait à peu près au même. Le spartan changea alors sa prise sur le manche de son couteau, pointant la lame en arrière afin de se mettre en garde.

- Laisse-moi passer, gamin ! grogna brusquement l’homme d’un ton menaçant.

- Il faudra d’abord me tuer, répliqua Jack. Tant que j’aurais un souffle de vie, je ne vous laisserai pas toucher à un seul cheveux de Rei.

- Alors c’est toi le garçon qui a été chargé de la protéger. Tu m’as bien surpris à l’instant, mais je te préviens tout de suite : tu n’as absolument aucune chance de me vaincre. Laisse-moi passer et je te laisserai la vie sauve.

- Ça marche souvent dans votre métier, ce genre de promesse ? le railla Jack en guise de réponse.

- Pas moyen de te raisonner, hein ? Tant pis pour toi.

L’assassin attaqua le premier, tentant une feinte sur la droite afin de frapper par la gauche, pointe en avant. Mais les réflexes de Jack le sauvèrent in extremis. D’autres attaques semblables suivirent immédiatement, s’enchaînant comme les différents mouvements d’une chorégraphie retenue par cœur, mais dont la succession était clairement improvisée au fur et à mesure du combat. L’agent de Damoclès était extrêmement rapide et précis, ce qui ne laissait pas beaucoup de marge de manœuvre à Jack qui devait se borner à esquiver coup sur coup en attendant une opportunité. L’entraînement de spartan qu’il avait reçu, combiné à son excellente condition physique, lui permettait de tenir la cadence tant qu’il s’agissait uniquement d’éviter d’être blessé, mais ce n’était pas encore suffisant pour lui permettre de trouver une ouverture. C’était l’ennemi qui menait la danse pour le moment, et il n’avait pas l’intention de passer la main. Pendant un instant, Jack eut le pressentiment que son ennemi allait finir par trouver une faille dans sa garde. La seule chose qui lui permettait de tenir le coup était l’idée horrible de laisser Rei à la merci de cet assassin.

C’est alors qu’il s’aperçu que les attaques de son adversaire commençaient à ralentir peu à peu. Chacun de ses coups était moins vif, moins précis. Jack réalisa soudain que ce combat avait duré plus de deux minutes sans qu’il en ressente la moindre fatigue, ce qui n’était apparemment pas le cas de l’agent de Damoclès. Une terrible frustration pouvait être ressentie dans chacun de ses gestes alors qu’il enrageait de plus en plus envers cet enfant qui s’opposait ainsi à lui avec un tel acharnement.

Soudain, l’assassin utilise ses deux dagues en même temps pour effectuer une attaque horizontale de chaque côté afin de prendre Jack en tenaille. Mais le garçon effectue un bond en arrière pour sortir du rayon d’action des lames ennemies avant de revenir à la charge avec une rapidité fulgurante, saisissant le poignet droit de l’homme tel un aigle attrapant une proie dans ses serres. L’assassin réagit instantanément en envoyant sa main libre en direction du visage de Jack qui dévie la dague avec sa propre lame, au prix d’un coup de genoux en plein estomac qu’il n’a pas senti venir. Mais cela ne le fait pas lâcher prise, et il s’empresse de tourner le poignet de son adversaire dans une position contre-nature. Un craquement d’os résonne alors entre les murs du couloirs, suivit par le son d’une lame tombant sur le sol, mais l’assassin ne pousse pas le moindre cri et se libère rapidement de l’emprise de Jack. Sa main droite est complètement inutilisable, pourtant il comptait bien le combat, ce qui témoignait soit d’une détermination farouche soit d’un conditionnement inhumain.

Le jeune spartan serra encore plus fort le couteau de combat dans sa main pour garder sa concentration et éviter de baisser sa garde. Un bref sentiment de victoire injustifié pourrait le rendre encore plus vulnérable que s’il avait lui-même eut le poignet broyé.

- Maintenant c’est à moi de te proposer un marcher, fit Jack. Quitte cette planète et retourne voir tes supérieurs. Dis-leurs qu’ils doivent cesser de poursuivre Rei. Tant qu’ils la laisseront tranquille, nous ne chercherons pas à détruire Damoclès.

Jack ne s’attendait pas à une réponse positive, à moins que l’assassin ne cherche à gagner du temps ou à le duper d’une quelconque manière. Non, le but réel de cette proposition était de le mettre hors de lui en montrant qu’il avait perdu le contrôle de la situation, afin qu’il cède à la colère et commette une erreur exploitable.

Ce stratagème fonctionna parfaitement, mais l’homme ne réagit pas comme Jack s’y attendait : au lieu d’attaquer, il lâcha sa dague afin de porter son unique main valide au niveau de sa ceinture. Ce geste ne pouvait être qu’une seule chose : un acte de suicide.

Le jeune spartan se retourna immédiatement et plongea de l’autre côté du couloir afin de s’éloigner au plus vite. Il échappa de justesse à une explosion semblable à celle d’une grenade à fragmentation qui dispersa sang et organe dans toutes les directions. Jack sentit le fluide chaud tomber sur sa tenue d’infiltration et ressentit une certaine culpabilité : c’était la première fois de sa vie qu’il était responsable de la mort de quelqu’un, mais peut-être était-il mieux justement que cette première expérience soit de ce genre là. La culpabilité aurait été encore plus grande s’il avait tué cet homme lui-même avec son propre couteau. Cette victime avait beau être la première, elle ne serait certainement pas la dernière. Il devait se faire à cette idée de la mort, car sinon il serait totalement incapable de protéger Rei contre Damoclès. C’était son rôle de chevalier.

- Tu peux venir, Rei, dit-il en se relevant.

Jack sentit la jeune fille avancer jusqu’à lui à pas hésitant, comme si elle n’était pas certaines de ce qu’elle percevait autour d’elle. Dans un murmure, elle fit :

- Tu vas bien ?

- Mieux que lui en tout cas : il s’est fait sauté.

- Je sais. Tous les agents sont conditionnés pour faire cela, pour éviter qu’ils soient interrogés ou torturés. Personne ne doit pouvoir remonter à Damoclès.

- Est-ce que… tu as été…

- Conditionnée ? termina Rei. Non. Cela se fait généralement vers l’âge de quatorze à quinze ans.

Quatorze à quinze ans. Ces mots résonnèrent dans l’esprit de Jack comme un écho se répercutant à l’intérieur de son crâne. Rei et lui devaient avoir à peu près cet âge là. Cela fit naître une certaine inquiétude en lui :

- Tu penses qu’ils comptent nous faire un conditionnement semblable ? Je veux dire… Mendez et le docteur ?

- Pas exactement le même, mais oui, je le pense. Ils veulent s’assurer que nous ne trahirons jamais le CSNU, et c’est pourquoi ils n’arrêtent pas de nous dire que nous allons devenir des héros. C’est le genre de croyance qui t’oblige à te sacrifier pour la cause des militaires ou des politiciens.

- Tu sais bien que je ne me sacrifierais jamais pour autre chose que toi, fit Jack en s’avançant pour poser sa main sur la joue de la jeune fille.

- Et je ne te laisserai jamais te sacrifier pour moi, répliqua doucement Rei en faisant de même. Comment est-ce que je pourrais vivre sans toi ?

Le bunker était plongé dans l’obscurité la plus totale où même la nyctalopie naturelle de Rei ne pouvait rien discerner, mais les deux adolescents n’avaient pas besoin de se voir quoi que ce soit pour reconnaître leurs émotions l’un pour l’autre. Déjà plusieurs fois auparavant, ils avaient eu ce genre de moment magique où le temps semblait s’arrêter sur eux, les laissant profiter d’une harmonie si parfaite qu’ils voudraient qu’elle ne s’arrête jamais. Ils voulaient que le temps reste figé afin qu’ils puisse profité de cet instant pour toujours, rester seuls, sans objectif, sans mission, sans ordres, rien que eux deux. Dans ces moment-là, ils se sentaient tellement attachés l’un à l’autre qu’ils ne pouvaient même plus envisager la possibilité de se séparer, ne serait-ce même pour quelques secondes. Ils voulaient profiter de chaque instant passés ensembles. Plus rien d’autre n’avait la moindre importance.

Jack avait mis longtemps à comprendre ce qu’était ce merveilleux sentiment qu’il ressentait lorsqu’il pensait à Rei. Personne ne lui avait appris ce genre de chose. Il savait démonter un fusil d’assaut les yeux bander, piloter une navette de transport et calculer des vecteurs d’approche balistique, mais pendant longtemps il ne savait absolument rien des choses du cœur. Pourtant c’était loin d’être compliqué : il aimait Rei. Il l’aimait par-dessus tout. Elle était sa vie, son âme, sa raison d’être. Il voulait utiliser chaque parcelle de son existence à la rendre heureuse. Il sacrifierait tout pour elle, il se damnerait pour elle, sans hésiter un seul instant. Et il savait qu’elle ressentait exactement la même chose pour lui. Peut-être que, tout comme c’était le cas pour lui au départ, Rei ne savait pas à quoi correspondait ce sentiment, mais il n’avait plus envie de laisser ce bonheur lui échapper plus longtemps.

Lentement, Jack approcha son visage de celui de sa partenaire. Il avait une demi-tête de plus qu’elle au niveau de la taille et la jeune fille leva alors les yeux pour continuer à le fixer, bien qu’elle soit incapable de voir la moindre chose. Elle pouvait ressentir la distance entre eux qui diminuait peu à peu, leurs corps immobilisés à quelques centimètres l’un de l’autre.

Elle ne recula pas. Elle ne voulait pas reculer. Rei voulait exprimer ses sentiments tout autant que Jack. Ils venaient tous deux d’affronter la mort et de réaliser combien leurs vies deviendraient insupportables s’ils étaient soudain séparés. Ils ne devaient plus gâcher ces instants en ignorant leurs sentiments et devaient laisser leurs cœur s’exprimer.

C’est pourquoi elle passa ses bras autour du cou de Jack et colla ses lèvres sur les siennes afin de l’embrasser.


UNIS


2047 heures, 17 février 2525 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, aile Ouest du bunker souterrain de la région montagneuse de Darkwood, planète Reach.

Les deux spartans furent tirés de leur rêverie lorsque les lumières du complexe se remirent en marche. Cela se fit si brusquement que leurs yeux furent momentanément aveuglés par ce soudain changement de luminosité. La réalité les rattrapait. Ils auraient bien voulu rester ainsi un peu plus longtemps, profiter de cette merveilleuse sensation qu’ils venaient de découvrir, mais ils devaient ressortir à la surface pour prévenir leurs supérieurs de ce qui s’était passé ici. Le simple fait de devoir s’écarter l’un de l’autre fut une épreuve, comme si une force invisible cherchait à les maintenir collés ensembles tels des aimants. Mais les choses redevinrent beaucoup plus claires pour Jack dès que son regard se posa sur la masse informe de débris humains qui constituaient les restes de l’agent de Damoclès.
- Tu penses qu’il y en a d’autres ici ? demanda-t-il à Rei en s’approchant du cadavre.

L’expression de crainte sur le visage de la jeune fille suffisait déjà à comprendre que le combat était loin d’être terminé :

- Normalement, une équipe d’extermination standard se compose de trois agents : le premier engage la cible au point prévu ; le second doit couper le couloir de fuite le plus probable ou remplacer le premier agent si celui-ci est éliminé. Le troisième agent assure un rôle de soutient et de supervision pour les deux autres et agit le plus souvent à distance.

- Donc ça veut dire qu’on en a un quelque part derrière nous qui va chercher à remplacer son petit copain. Le dernier… il doit probablement se trouver à l’extérieur, en train de surveiller la porte du bunker avec un fusil à lunette. Il va falloir qu’on trouve une solution pour les éliminer eux aussi.

Alors qu’il disait cela, le garçon examinait les restes de l’assassin kamikaze avec une grande précaution. D’après les substances acides qui commençaient à ronger les quelques morceaux de vêtement ayant survécu, l’explosif employé était basé sur une réaction chimique extrêmement violente qui ne ressemblait à rien de ce qu’il connaissait. Cela avait littéralement pulvérisé le corps de l’assassin et réduit en miette la plupart des équipements qu’il portait. Très peu de ces objets étaient encore identifiables et Jack n’avait pas particulièrement envie de jouer sa vie sur du matériel ennemi douteux et possiblement défectueux. Il abandonna donc là les débris d’homme et reprit en main son couteau de combat en annonçant :

- Le deuxième assassin ne va pas tarder à arriver. Nous devons bouger d’ici.

En effet, ce long couloir les laissait beaucoup trop vulnérables à d’éventuels tirs d’armes à feu. Ils devaient forcer leur ennemi à venir les affronter sur un autre terrain plus avantageux. Pour Jack comme pour Rei, il était hors de question de chercher à joindre l’extérieur dans l’espoir de donner l’alerte, car si ces assassins étaient parvenus à s’infiltrer jusqu’ici, ils avaient certainement utilisés de fausses identités qui les dissimulait parmi le personnel de l’armée. Si l’un d’eux venait à se déguisé au milieu d’un groupe de marines, il n’hésitera pas à se sacrifier pour tuer les deux spartans. La seule solution envisageable pour eux était de combattre seuls le reste de l’équipe d’extermination, et pour cela ils avaient besoin d’un plan.

Avant de partir, ils avaient été briefés sur la structure de ce bunker par l’adjudant-chef. Selon Rei, l’endroit le plus favorable pour un engagement était le quartier des officiers de par son accès unique qui leur permettrait de voir venir leur ennemi ainsi que le faible niveau de perturbation dont ils profiteraient pour détecter leur avance. Les deux adolescents se mirent alors en chemin.

Ou plutôt Rei se mit en chemin avant d’entendre Jack s’effondrer brutalement à côté d’elle, sans qu’elle n’ait ressenti la moindre présence ou perçu la moindre attaque. Rapidement, elle se pencha au-dessus du garçon et examina avec horreur son faciès qui était devenu blême. Ses yeux étaient perdus dans le vide et ses paupières battait à une cadence inhumaine tandis que des rictus de douleur contractaient invariablement la cinquantaine de muscles de son visage. C’est alors que Rei réalisa ce qui se passait. Sans hésiter, elle appuya violemment sur la poitrine de Jack pour l’obliger à expirer l’air de ses poumons, puis le souleva du sol pour l’emmener aussi loin que possible de ce couloir. Le garçon était extrêmement faible, bien plus faible que ne l’était Rei elle-même, mais la volonté de la jeune fille lui donna plus de force qu’elle n’en avait jamais témoigné.

Ils parcoururent ainsi le reste du couloir et allèrent s’enfermer dans la première pièce qu’ils trouvèrent. C’était apparemment un ensemble de bureaux disposés en boxs et appartenant à une quelconque branche de l’administration militaire sur Reach. Alors qu’elle déposait délicatement son partenaire sur le sol, Rei remarqua que son état s’était quelque peu amélioré, mais il restait terriblement affaibli. Il respirait difficilement et son corps tout entier était parcouru de spasmes. C’est avec le plus grand mal qu’il parvint à balbutier :

- Qu… qu’est-ce qui…

- Ne parle pas, lui dit Rei en posa doucement ses doigts sur les lèvres du spartan. La décomposition chimique de l’assassin a libéré un gaz neurotoxique qui attaque ton système nerveux. Tu as de la chance que j’y ai été immunisée.

Jack se sentit soudain terriblement impuissant. Il avait affronté et neutralisé seul un assassin de Damoclès en combat loyal pour finalement être vaincu par une substance chimique contre laquelle il ne pouvait absolument rien. Sa carrière de chevalier protecteur semblait sérieusement compromise.

- La toxine s’est répandue dans ton sang alors que tu marchais, continua d’expliquer Rei tandis qu’elle vérifiait les différents signes vitaux de Jack. Elle inhibe les récepteurs de tes muscles afin de te priver de toute possibilité de mouvement et empêcher ton cœur de battre plus vite. Une exposition prolongée fait remonter la toxine jusqu’à ton système nerveux central et te fait alors plonger dans le comas. C’est une méthode employée par Damoclès pour neutraliser une cible tout en ayant la possibilité de la réveiller plus tard grâce à un contre-poison gardé secret par les maîtres médecins.

Le spartan n’avait plus le moins d’exprimer son effroi, mais Rei pouvait facilement imaginer ce qu’il ressentait. Elle avait déjà vu les effets redoutables de cette substance et connaissait à peu près les différents niveau d’infection qui pouvaient être expérimentés par un sujet. D’après ce qu’elle pouvait voir, Jack n’était pas encore complètement paralysée par le poison, ce qui était plutôt bon signe car il était encore possible d’agir à ce stade :

- Je dois changer entièrement ton sang pour évacuer la neuro-toxine, lui dit-elle calmement. Reste ici et n’essaye surtout pas de bouger : cela ne ferait qu’accélérer le processus d’infection. Je vais aller à la section médical et ramener le matériel nécessaire pour te soigner.

Jack aurait voulu refuser, lui dire qu’il allait s’en sortir, qu’il allait continuer de la protéger comme il l’avait toujours fait. Mais Rei avait raison : dans son état, tout mouvement pouvait rapidement faire empirer son état. Il ne voulait pas qu’elle courre de risque inutile pour lui, sauf qu’il était probable que, seule, elle ne parvienne jamais à quitter ce complexe vivante. C’est pourquoi il devait accepter de la laisser partir.

Avant de quitter la pièce, la jeune fit glisser Jack sur le sol pour le dissimuler derrière un duo d’armoire dans un coin. Là, elle prit le couteau de combat du garçon et coinça la lame dans sa ceinture.

- Je vais faire vite, dit-elle en l’embrassant. Ne t’inquiète pas.

La section médicale n’était pas très loin et avec de la chance, Rei pouvait faire l’aller-retour en un rien de temps. Elle était la plus rapide lorsqu’il s’agissait de se déplacer furtivement. Alors qu’elle traversait les couloirs de nouveau éclairés, tous ses sens en alertes, un sentiment profond d’être observée naquis en elle et se fit de plus en plus oppressant alors qu’elle approchait de son objectif. C’était comme si ses mouvements n’étaient permis que par une puissance supérieure qui pouvait à tout moment la priver de tout liberté, éteindre sa vie et livrée son âme au néant. Son cœur semblait sur le point d’exploser dans sa poitrine sous le poids de cette tension qui mettait à mal chaque parcelle de son être. Le sentiment de pouvoir mourir d’une seconde à l’autre était terrifiant, et pourtant ce qui préoccupait d’abord son esprit était la santé de Jack.

Elle arriva devant l’un des accès de secours de la section médicale sans avoir ressentit le moindre signe de vie et, pourtant, son intuition lui disait que les choses n’allaient pas rester aussi faciles que ça. D’une main tremblante, elle ouvrit sa porte pénétra dans l’infirmerie. La scène qu’elle contempla à l’intérieur fut sans doute l’image la plus horrible de toute sa vie :

Des dizaines de corps d’hommes et de femmes étaient allongés les uns sur les autres, recouvrant les tables d’opération et le sol de la salle. La plupart d’entre eux portaient des uniformes de l’armée, mais d’autre étaient vêtus d’habits de techniciens, de médecins ou d’infirmières. Leurs faciès étaient blancs, figés dans la dernière expression ressentie avant leur mort. Nombre d’entre eux avaient ainsi gardé un visage calme, mais d’autres présentaient des sentiments plus particuliers comme la curiosité, l’inquiétude, la surprise ou une terreur profonde. Il n’y avait pas le moindre sang sur leurs corps, mais Rei était absolument certaine qu’aucun d’entre eux n’était encore en vie.

Les assassins de Damoclès avaient donc commencé leur massacre ici avant de prendre totalement le contrôle du bunker, rassemblant peu à peu les corps du personnel travaillant dans ce complexe. D’après les stratégies standards de Damoclès, cela signifiait que cette zone devait être déserte à présent : les assassins ne restaient jamais longtemps près des zones de « stockage » des victimes. Rei se détendit alors légèrement et chercha à détourner son esprit de la mer de cadavres qui se trouvait devant elle, et au travers de laquelle il lui fallait se déplacer. Plusieurs fois elle fut obligée de marcher sur un corps pour continuer à avancer, ce qui renforça son malaise. La seule chose qui l’empêchait de vouloir quitter cet endroit à tout prix était l’absolue nécessiter de trouver du matériel pour soigner Jack.

La vision d’horreur se poursuivie de salle en salle, toujours plus morbide et insupportable. Chacun des visages sur lesquels se portaient les yeux de Rei était immédiatement gravé dans sa mémoire alors que la jeune fille réalisait qu’elle seule était la cause de tous ces morts. Un sentiment profond de culpabilité l’envahissait de plus en plus à chaque minute, alourdissant le poids de ses pas et torturant ses pensées. Elle avait envie de s’effondrer par terre et de pleurer jusqu’à en mourir elle aussi, mais cela signifiait abandonner Jack à son sort. Une chose qu’elle était incapable d’accepter.

Afin de ne pas sombrer dans la folie, elle concentra toute son attention sur la recherche d’un équipement de transfusion sanguine. Il lui fallut plusieurs minutes de fouille dans les diverses armoires et caissons de stockage avant d’en trouver finalement un. Les médecins de l’armée étaient habitués à transporter de petits appareils de ce genre pour soigner rapidement les soldats souffrants d’hémorragies graves. Avec ça, Jack pourrait être rapidement remis sur pied. Elle saisit un container stérile renfermant suffisamment de poches de sang pour l’opération et se dirigea vers la sortie. Mais soudain, elle s’aperçut avec effrois que toutes ces émotions violente avait cruellement relâché sa vigilance.

Un homme en combinaison de combat noire se tenait à quelques mètres devant elle, immobile et silencieux, le visage sévère avec une expression de fureur dans les yeux. La spartan faillit lâcher sa précieuse cargaison sous l’effet de la surprise. Pendant un instant, elle hésita à réellement laisser tomber tout ce matériel médical pour pouvoir se défendre, mais l’inconnu ne semblait pas avoir d’intention hostiles. Ou du moins pas pour le moment. Il était appuyé contre le cadre de la porte et gardait les bras croisés, certain qu’il ne risquait rien de la part de la jeune fille. Voyant qu’elle n’osait rien dire, il décida de prendre la parole d’un ton intimidant :

- Ayanami Rei. Ancienne élève de l’orphelinat de Notre Dame des Martyrs sur la colonie d’Eridios. Disparue depuis de l’attaque du CSNU contre ce même orphelinat le 30 août 2517. Membre du programme SPARTAN-II avec pour seul coéquipier connu Jack Foster.

- Vous êtes bien informé, se contenta-t-elle de répondre.

- L’information a toujours été notre meilleure arme. Savoir qui frapper, à quelle endroit et à quel moment pour changer le destin de millions de personnes.

- Ça ne ressemble pas aux assassins de vouloir affronter leurs cibles de face, lança-t-elle. Que voulez-vous ?

L’homme s’avança lentement. Il n’avait apparemment aucune arme en main, mais Rei connaissait suffisamment bien les assassins pour se douter qu’il devait disposer d’une lame cachée sous l’un de ses poignets ou d’une dague dissimulée quelque part dans sa combinaison de combat noire. Le couteau de Jack lui sembla étrangement lourd, tout d’un coup.

- Je ne suis pas étonné que tu ne te souvienne pas de moi, Rei. Cependant je me souviens très bien de toi, car c’est moi qui ait été chargé de te former lorsque tu n’avais encore que quatre ans. Tout ce que tu savais avant d’arriver sur Reach, c’est moi qui te l’ai enseigné.

Alors que les paroles de l’inconnu arrivaient à ses oreilles, Rei réalisa que sa voix lui rappelait plusieurs souvenirs qu’elle pensait avoir perdu. Les images d’une cellule sombre et humide lui revinrent brusquement, suivies de la vision d’une vaste salle souterraine puant la sueur. Cette voix… c’était la seule qu’elle avait entendu durant les deux premières années passées à l’orphelinat. Soudain, un nom réapparut à la surface de son esprit, ramenant avec lui toute une collection de sensations alliant la peur et le respect dans diverses proportions.

- Maître Asphar, lâcha-t-elle dans un murmure. Membre du troisième cercle de Damoclès, formateur principal du centre d’Eridios et investigateur pour le recrutement des nouvelles générations. Alors vous avez survécu ?

Un léger sourire apparu sur le visage de l’homme, montrant qu’elle avait touché juste.

- Tu as toujours été très forte pour mémoriser les choses, Rei. Ton esprit est définitivement plus affûté que ton corps. D’après les renseignements que nous avons recueilli, tu es la plus faible de tous les spartans en terme de force physique. Est-ce vrai ?

Rei eut presque honte en acquiesçant légèrement de la tête. Elle avait beau être la plus intelligente et la plus furtive des spartans, cette immense faiblesse musculaire lui donnait l’impression de n’être qu’une sous-spartan, une rature. Le docteur Halsey pouvait la considérer comme un excellent élément pour son projet Aegis, cela n’enlevait pas le fait d’être terriblement sous-estimée par tout le reste du personnel impliqué dans ce programme, et surtout par les autres spartans.

- Tu étais l’élément le plus prometteur de ta génération, continua Asphar. Mais ici, tu n’est traitée qu’avec mépris. Je veux te donner une chance de revenir à l’organisation et servir de nouveau notre cause. Je connais ton véritable potentiel : c’est celui d’un maître assassin, et non pas d’un quelconque super-soldat grotesque. Ces combattants ne pourront jamais être au niveau des agents de Damoclès et tu le sais.

La jeune fille n’osa pas répondre. Les paroles de Asphar coulaient en elle comme une drogue apaisante contre laquelle elle cherchait à lutter désespérément.

- Le CSNU cherche à asseoir sa domination tyrannique sur l’humanité tandis que la rébellion cherche à déchirer l’empire pour le conduire inconsciemment à une ère de ténèbres. Nous sommes la seule organisation à même de maintenir l’équilibre de cet univers, car c’est ce que nous avons toujours fait depuis des siècles. Mais l’attaque sur notre orphelinat d’Eridios a créé un trou dans la chaîne des générations d’agents et nous a donc fragilisé. C’est pourquoi je te propose de revenir parmi nous.

- Et qu’est-ce qu’il adviendra de mon coéquipier ? demanda Rei alors qu’elle reprenait un peu d’assurance.

- Il a vaincu l’un de nos agents en combat singulier. Pour quelqu’un de son âge, c’est un exploit formidable. Il peut donc rejoindre lui aussi l’organisation, mais il sera gardé sous surveillance dans un centre de formation jusqu’à ce que nous soyons sûrs de sa fidélité à Damoclès.

- Alors tout ceci... c’était un test ?

Asphar acquiesça d’un léger hochement de tête. Rei considéra rapidement toutes les options qui s’offraient à elle, évaluant ses chances et explorant en pensée les destins qui s’ouvraient devant elle. Mais alors que son esprit était traversé par toutes ces réflexions et ces tentatives d’analyse, la spartan réalisa qu’elle avait négligé un paramètre extrêmement important : si elle rejoignait Damoclès, Jack et elle seraient séparés. La seule pensée de cette possibilité lui fit mal au cœur. En un instant, sa décision était prise :

- Je vous remercie de votre offre, maître Asphar, mais je me vois obligée de refuser. Cela va peut-être vous paraître égoïste, mais je suis très heureuse dans la situation où je suis actuellement, et je crains que ce bonheur ne soit incompatible avec les ambitions de l’organisation.

Le regard de Asphar perdit soudain toute sa sévérité pour laisser place à une profonde déception.

- Tu sais ce que cela signifie, au moins ?

- Oui. Mais je n’ai pas peur de vous affronter. J’ai ma propre force pour moi.

La jeune fille déposa doucement sur l’une des étagères de la salle l’équipement médical qu’elle portait, puis sortit le couteau de Jack. Le contact avec la poignée encore chaude lui donnait l’impression d’être avec lui, diffusant dans son corps une énergie incroyable et une confiance absolue en elle. Devant elle, sous la lumière des néons du plafonnier, Asphar sortit également une dague de sous sa combinaison.

- Personne n’interviendra, dit-il calmement. Je n’ai pas pris de troisième lame pour cette opération. Le destin de Damoclès, et par conséquent de toute l’humanité, dépendra de ce duel.

- Je ne me bats par pour l’humanité, répliqua sèchement Rei. Je me bats pour rester avec celui que j’aime.

- Même si cela signifie devenir l’instrument des militaires ?

- Je ne serai jamais l’instrument de personne.

- Alors cette discussion est terminée.

Asphar porta la main à sa ceinture et appuya sur la commande à distance qui y était accroché. Une fraction de seconde plus tard, Rei ressentit une violente secousse traverser le complexe avant que les lumières ne s’éteignent à nouveau, sans doute définitivement cette fois-ci.

LIBÉRATION


2112 heures, 17 février 2525 (Calendrier militaire)/ Système Epsilon Eridani, aile Ouest du bunker souterrain de la région montagneuse de Darkwood, planète Reach.

Le complexe souterrain était de nouveau la proie des ténèbres les plus profondes. Ce lieu était devenu le domaine des assassins, un endroit où les ombres pouvaient se mouvoir sans limite, sans restriction, sans pouvoir être stoppées par qui que ce soit. Ce genre d’endroit constituait le terrain de chasse préféré de Damoclès, dont les agents pouvaient frapper à volonté et répandre la mort au non de leur soi-disante justice. En ce lieu, seul un individu entraîné dans l’art de la perception hyper-sensoriel pouvait espérer survivre.
Fort heureusement, Rei était plus que compétente dans ce domaine. Elle pouvait percevoir les infimes courants aériens parcourant son visage ainsi que les vibrations traversant le sol jusqu’à ses pieds. Elle pouvait entendre le bruit de la respiration quasi inexistante de son ancien maître, Asphar, qui restait immobile à quelques mètres devant elle. L’idée de devoir l’affronter l’horrifiait, mais elle ne pouvait plus reculer désormais. Dans sa main droite, le couteau de Jack était comme une lumière spirituelle qui cherchait à la guider. Au simple contact de la poignée, Rei sentait affluer en elle toute la force et le courage de son partenaire. Il était avec elle, combattant à ses côtés. Il était en elle.

Rei attaqua la première, d’un coup d’estoc dirigé vers la tête de Asphar qui réagit aussitôt avec une parade. Cependant, ce n’était qu’une feinte. La véritable attaque vint immédiatement après sous la forme d’un coup de pied dans le genoux de son adversaire. L’assassin lâcha un léger grognement, mais Rei ne lui laissa pas le temps de reprendre la main : son pied tendu revint en arrière pour frapper au niveau du ventre. Cette fois-ci, Asphar intercepta l’attaque de sa main libre, et la jeune fille changea aussitôt de pied d’appuie pour frapper son flanc droit. N’importe quel autre spartan aurait briser une ou deux côtes avec ce genre de frappe, sauf Rei. Mais elle ne se découragea pas, au contraire, et continua à frapper sans arrêt.

Rei n’avait jamais été très forte pour les combats de proximité, et encore moins pour les corps à corps. Pourtant elle enchaînait les attaques l’une derrière l’autre avec une assurance totale, sans laisser le temps à son adversaire de monter une contre-attaque. Chacun de ses gestes était dicté par son instinct, par son subconscient, par sa volonté de gagner et de sauver Jack. Si Asphar parait son coup, elle le forçait à garder sa position défensive pour frapper à l’endroit le plus vulnérable. S’il bloquait son poings, elle l’utilisait comme appuie pour porter un coup encore plus puissant. Et s’il esquivait, c’était parce qu’elle lui laissait la marge de manœuvre nécessaire pour cela, afin de le mener là où elle voulait pour l’y accueillir à sa façon. Plusieurs fois, elle parvint à le blesser avec la lame de Jack, mais jamais à des points vitaux. L’odeur du sang sur sa tenue de combat lui emplissait les narine et agissait comme un stimulant tandis que la sensation du combat occupait le moindre, la moindre fibre musculaire, jusqu’à la plus infime parcelle de son corps. Jamais elle n’avait autant ressenti le besoin de gagner. C’était comme une drogue qui démultipliait ses capacités, lui faisant dépasser les limites invisibles qu’elle s’était inconsciemment tracé entre ce qui lui était possible ou impossible.

Soudain, Asphar recula d’un bond pour rompre l’affrontement et Rei chercha aussitôt à le poursuivre. Mais avant qu’elle puisse faire un pas, tous ses sens furent brusquement perturbés par d’innombrables signaux extérieurs. La jeune fille reconnut immédiatement cette sensation. Elle ne l’avait ressenti qu’une seule fois : à la fin de sa formation hyper-sensorielle. Asphar l’avait conduit dans une pièce complètement noire, semblable à celle-ci, et avait activé les modules de perturbation qui s’y trouvaient.

Ces modules avaient été conçus par Damoclès pour combattre les éventuels assassins renégats qui voudraient défier l’organisation. Ils étaient constitués d’un micro-ordinateur relié à une série de pistons qui étaient activés de façon totalement aléatoire, créant des sons des vibrations et des courants d’airs dans toutes les directions. Cela rendait l’art de la perception hyper-sensorielle totalement inutile, excepté pour les membres du troisième cercles et des cercles supérieurs qui savaient comment ignorer ces perturbations.

Rei n’avait jamais appris à faire de même, ce qui la plaçait dans une situation extrêmement dangereuse. Mais elle ne pouvait se résigner à désespérer. Elle devait faire face à cette difficulté, la surmonter. Et pour cela, elle avait besoin de temps. Elle avait besoin de tenir Asphar occupé ne serait-ce que quelques instants :

- Alors ceci est mon dernier tests ? demanda-t-elle.

- Je t’ai déjà offert ton dernier test et tu y as échoué. Maintenant je me dois de t’éliminer pour le bien de l’organisation.

La jeune fille devait d’abord identifier le nombre de modules. Pour cela, il lui fallait considérer la disposition de la pièce d’après ses souvenirs, prendre en compte les échos des perturbations contre le décor et anticiper les emplacements les plus probables. En quelques secondes, elle différencia cinq sources différentes de perturbations mais ne parvint pas à les situer avec exactitude. Elle devait encore gagner un peu de temps :

- Et vous ne vous sentez pas capable de me vaincre par vous-même sans utiliser ces artifices de pleutre ? Je croyais que vous me considériez comme un être faible ?

- Au contraire, Rei. Sinon pourquoi t’aurais-je demandé de nous rejoindre ? Tu sais mieux autant que moi que la force physique n’a qu’une importance minime pour un assassin. Tu aurais pu faire un parfait agent de Damoclès, peut-être le meilleure de cette génération. Mais tu as refusé et maintenant je dois t’empêcher de nous nuire.

La jeune fille n’avait pas écouté un mot de ce que lui disait Asphar. Son esprit était trop concentré à localiser les modules. Elle en avait déjà trouvé trois, mais les deux autres étaient trop proches l’un de l’autre pour qu’elle puisse les différencier avec précision. Par chance, ils étaient situés quelque part derrière elle, donc tant qu’elle empêcherait Asphar de lui tourner autour, tout se passerait bien. Elle devait maintenant enregistrer les différentes perturbations causées par ces modules.

Car même si elles étaient provoquées suivant des temporisations aléatoires, le mouvement des pistons enclenchés par le mécanisme était toujours le même, ce qui le rendait facile à identifier pour quelqu’un de suffisamment attentif. Rei était si près du but… lorsqu’elle réalisa soudain que son ancien maître avait commencer à bouger. Elle ne l’avait pas distrait suffisamment longtemps et maintenant elle devait réagir vite pour ne pas perdre la vie.

Asphar se déplaçait lentement, cherchant à dissimuler ses mouvements au milieu des perturbations engendrés par les modules. Rei était consciente des mouvements de son adversaire, mais elle était totalement incapable de le situer dans l’espace. Il lui fallait quelque chose.

Soudain, alors qu’elle laissait tomber ses bras pour se détendre et augmenter sa concentration, le couteau de Jack toucha quelque chose de métallique, et une étincelle illumina brièvement les ténèbres. Un très bref instant, à peine une demi-seconde, Rei vit très précisément où se trouvait Asphar. Il se trouvait à cinq mètres devant elle et avançait. Instantanément, Rei prit en compte cette information pour séparer les différentes perturbations et finalement isoler les signaux trahissant la présence de son ancien maître. Son niveau de concentration était immense mais elle n’était pas certaine de pouvoir maintenir bien longtemps. C’est pourquoi elle se jeta à nouveau à l’attaque.

Croyant qu’elle réagissait uniquement à ce qu’elle avait vu grâce à l’étincelle, Asphar fit un pas de côté et attendit que Rei passe devant lui en aveugle. Seulement, elle avait parfaitement perçu son déplacement et analysé sa stratégie. Rei continua sur son élan afin de leurrer l’assassin, puis recula au dernier moment lorsque celui-ci avança son bras pour lui couper la gorge. L’instant suivant, la jeune fille envoya sa propre lame en direction de l’épaule de son adversaire dans le but de le paralyser. Malheureusement, son attaque ne fut pas assez puissante et la pointe du couteau ne s’enfonça de seulement deux centimètres, ce qui ne suffit pas à sectionner les muscles qu’elle visait.

D’un mouvement brusque, Asphar fit glisser le couteau de Jack hors des mains de la spartan qui se retrouva soudain désarmée.

- Surprenant, lâcha Asphar en contenant la douleur. Vraiment surprenant. Tu es parvenue à lire mon mouvement malgré les modules de perturbation ?

- Vous l’avez déjà dit : j’ai toujours été très forte pour mémoriser les choses.

- Alors tu t’es entraînée pendant des années en prévision d’un moment comme celui-ci ?

- Non. J’avais oublié l’existence de ces modules jusqu’à ce que vous les activiez.

- Tu te rends compte de l’exploit que tu viens de réaliser ? Il faut généralement plusieurs semaines à un membre du troisième cercle pour ignorer les effets des modules.

Cela n’avait aucune importance pour Rei. La seule chose qui lui importait, c’était de terminer ce combat au plus vite pour aller soigner Jack.

- Tu dois vraiment t’inquiéter pour ce garçon, remarqua Asphar. Jusqu’où serais-tu prête à aller pour lui ?

- Tant que j’aurais un souffle de vie je me battrai contre tout ce qui cherche à nous séparer.

- Et si je te dis que je pourrais faire une exception ? Demander aux anciens de vous laisser ensembles pour former votre propre équipe ?

- Je vous réponds que cette proposition vient trop tard. De plus, l’attachement est contraire aux préceptes de Damoclès. Les anciens n’accepteraient jamais une telle chose.

- Ne ruine pas ton potentiel en choisissant la voie de la destruction.

- « Rien n’est vrai. Tout est permis. »

C’était la devise de Damoclès, la devise millénaire des assassins. Asphar ne s’était pas attendu à ce que Rei l’utilise comme excuse pour ne plus faire partie de l’organisation, mais pourtant sa voix était on ne peut plus déterminée. Rangeant un instant sa dague dans son fourreau et désactivant les modules de perturbation, il commença à expliquer sur son ton de professeur :

- Le sens de cette devise n’est jamais expliqué aux novices. D’ailleurs je ne te l’ai pas enseigné. En fait, chaque novice doit se forger sa propre idée là-dessus et, lorsqu’il a terminé sa formation, il passe devant les anciens qui lui demandent la signification de cette devise. Cela leur permet de connaître les pensées profondes du novice mieux que s’ils l’avaient observé toute sa vie, et donc de savoir quel rôle dans l’organisation convient le mieux à sa vision du monde. Alors dis-moi : pour toi, que signifie cette devise ?

- Elle découle de la liberté totale dont l’Homme est capable de jouir autant dans ses actions que dans ses pensées, pour peu qu’il réalise combien il est facile de modifier la réalité. La capacité d’un individu à modifier son environnement dépend de ses aptitudes physiques ainsi que des moyens matériels dont il dispose sur l’instant, tandis que sa capacité à modifier la vérité dans l’esprit d’une autre personne dépend de ses facultés mentales. Ainsi, les êtres alliant ces deux choses à un niveau suffisamment élevé sont capables de plier la réalité à leurs désirs et de transformer les individus moins forts en marionnettes.

« Chaque individu possède des intérêts particuliers pour lesquels il cherchera à user de son pouvoir personnel, attirant sur lui l’attention des personnes dont les intérêts sont incompatibles avec les siens. C’est pourquoi chaque fois que quelqu’un modifie la vérité, il fait du tort à quelqu’un d’autre et doit s’attendre à en subir les conséquences. C’est pourquoi l’humanité est destinée à ne jamais connaître la paix et pourquoi elle tombera tôt ou tard dans le chaos si elle n’est pas rassemblée et dirigée par des personnes justes. Une fois que l’on a compris cela, rien n’est vrai, et tout est permis pour réaliser cette vision.

Rei ne pouvait voir le visage de son ancien maître, mais le fait qu’il resta silencieux plus d’une minute sans faire le moindre mouvement signifiait que ces mots l’avaient atteint. L’obscurité profonde rendait cette scène digne des rites initiatiques de l’ancien temps et des réunions mystiques des sociétés secrètes. Sauf que là, les rôles du maître et de l’apprenti avaient été inversés. Du haut de ses quinze ans, la jeune spartan venait de bouleverser le monde intérieur de Asphar.

- Rei, dit-il enfin. J’ai formé des dizaines d’assassins pour l’organisation et je n’ai jamais obtenu une seule réponse à cette question qui me satisfasse jusqu’à maintenant. Pour te parler franchement, ma propre réponse ne me satisfaisait pas moi-même. Je savais que j’étais à côté de la vérité concernant cette devise, mais je me réconfortait dans l’idée que mes élèves en étaient encore plus éloignés que moi. Tu as vraiment dépassé mes espérances sur tous les points et je t’en félicite. J’aimerais pouvoir te ramener avec moi pour que tu continues de servire l’organisation, mais comme tu l’as dit, cela n’est pas compatible avec ton bonheur. Je ne peux pas te tuer, je n’en ai plus la force, et je ne peux pas non plus trahir l’organisation. Alors…

Asphar saisit lentement sa dague et la jeta au loin. Elle tomba dans un tintement de métal qui résonna à travers la pièce avant de mourir lentement un écho après l’autre.

- Je te donne ma vie en paiement de tout ce que je t’ai fait subir. Prends-la. Ce sera ton rite de passage.

- Non... Je... Je ne peux pas. Pas maintenant que vous êtes désarmé.

- Je te le demande comme une faveur. J’ai dédié ma vie entière à l’organisation mais je ne peux plus la servir, désormais. Libère-moi de cette souffrance et libère-toi par la même occasion. Mourir par ta main est le meilleur destin que je pouvais espérer. Alors je t’en prie : pour la dernière fois, fais ce que je te dis. Tue-moi.

Face à cette supplication, Rei céda. Elle récupéra le couteau de Jack dont elle avait mémorisé le point de chute et s’avança lentement vers son ancien maître, d’un pas hésitant et tremblant. Il restait totalement immobile mais ne cherchait pas à dissimuler sa présence. Lorsqu’elle arriva face à lui, il s’agenouilla dans une succession de gestes lents afin de prouver qu’il ne cherchait pas à la tromper. La jeune fille passa alors dans son dos, plaça la lame du couteau contre sa gorge… et le frappa à la nuque pour l’assommer. Asphar s’effondra aussitôt sur le sol, inconscient. Plus pour elle-même que pour lui, la jeune fille expliqua :

- Désolée de ne pouvoir vous offrir une mort honorable, maître, mais je pense que plusieurs personnes ont des questions à vous poser.

NETTOYAGE


2327 heures, 17 février 2525 (Calendrier militaire)/Système Epsilon Eridani, complexe militaire de Reach, bureau du docteur Halsey,planète Reach.

Catherine Halsey fut réveillée par le son strident de son transpondeur lui indiquant une demande de communication de la part de Mendez. Après avoir pris deux secondes pour rassembler complètement ses esprits, elle appuya sur la commande vocale et la voix autoritaire de l’adjudant chef s’échappa de l’appareil :
- Madame, je crois que nous avons un sérieux problème.

- Qu’y a-t-il, adjudant ?

- Il y a eut… un incident lors du dernier exercice d’entraînement des recrues 114 et 115 : la base souterraines de Darkwood a été attaquée par ce qui semble être deux agents de Damoclès. Tout le personnel du troisième niveau a été tué et toutes les sources d’alimentation ont été coupées.

- Qu’en est-il de l’équipe Aegis ? fit Halsey sans arriver à contrôler la terrible inquiétude qui s’était soudainement emparé d’elle.

- Ils sont tous les deux sains et saufs, ne vous inquiétez pas. La recrue 115 a personnellement éliminé l’un des assassins et 114 en a capturé un autre. Je suis avec eux dans une navette Pélican. Nous serons là d’ici une quinzaine de minutes.

- Très bien, adjudant. Amenez-les moi en vie. Nous allons devoir prendre des mesures en conséquence.

Mendez ne répondit pas et se contenta de couper la communication. Catherine Halsey quitta alors le confort de son lit et s’habilla rapidement avant de s’avancer vers son bureau pour sortir Déjà de son mode veille. Elle faisait un effort terrible pour ne pas penser à ce qui pourrait arriver si l’équipe Aegis était attaquée durant leur transport. L’adjudant-chef avait beau être un excellent soldat et un formidable résultat du programme SPARTAN-I, il n’avait rien de ce qu’il fallait pour affronter un assassin de Damoclès. Mais le fait que Rei et Jack aient réussi à en éliminer deux était la preuve que le projet Aegis avait réussi.

Du moins, il pouvait réussir si ces spartans survivaient jusqu’à la phase des augmentations corporelles. Et c’était là tout le problème.

Car les risques des divers procédés d’augmentation n’étaient pas encore suffisamment réduits. Le taux de pertes potentiels avoisinait les 50%, ce qui était tout simplement énorme. Halsey voulait s’assurer que chacun des spartans qui avait été entraîné jusque là survive au procéder pour participer à la guerre contre la rébellion et, dans le cas de l’équipe Aegis, contre Damoclès.

Et pourtant, elle savait que c’était totalement impossible. Cela faisait déjà plusieurs semaines que les membres de l’amirauté et les huiles du SRN la harcelaient pour accélérer le planning du programme SPARTAN-II en disant que la situation risquait de leur échapper complètement d’ici quelques années si aucune action forte n’était prise contre les rebelles. Et la seule carte d’action forte dont le CSNU disposait dans son jeu, c’était ses spartans. Ils en avaient tous cruellement besoin et Halsey ne pouvait pas le leur reprocher. Après tout, c’était grâce à ce besoin qu’elle avait pu mettre en place ce projet. Elle espérait juste, à l’époque, qu’elle aurait largement le temps de le mener à bien jusqu’au bout.

- Déjà ! lança la scientifique en direction de l’intelligence artificielle. Quelles sont les estimations actuelles sur la rébellion ?

- Les analystes de la section 1 prédisent un soulèvement majeur des colonies extérieures d’ici vingt ans. Ils précisent qu’à moins qu’une action militaire radicale ne soit prise rapidement, cette rébellion ne pourra jamais être contenue même avec tous les moyens disponibles.

- Ils veulent déclencher une guerre à plus grande échelle le plus tôt possible afin d’augmenter leurs chances de remporter la victoire, c’est ça ? fit Halsey pour elle-même. C’est affligeant.

- L’amirauté pense pouvoir limiter les pertes civiles par des attaques chirurgicales sur les différents centres connus de la rébellion et par une stratégie…

- Arrête, Déjà ! Nous savons parfaitement toutes les deux qu’il ne s’agit que d’une propagande interne lancée par la section 2. Ils veulent favoriser cette décision pour nous couper les crédits et favoriser les projets de ce   prétentieux d’Ackerson.

- Dans ce cas, vous savez ce qu’il reste à faire. De plus, l’incident qui vient de se produire avec les recrues 114 et 115 constitue une raison supplémentaire pour laquelle il nous faudrait accélérer l’initiation de la phase suivante.

Halsey regrettait souvent de n’avoir pas doté Déjà de facultés d’appréciation des émotions humaines, et cette pensée la frappa une nouvelle fois alors qu’elle avalait difficilement la dernière remarque de l’IA. Il y avait des choses qu’il fallait éviter de dire et dont elle n’avait pas conscience du fait de sa conception « limitée ». Pourtant Halsey ne pouvait nier que Déjà avait raison : il n’y avait plus d’autre choix possible. Ses spartans devaient passer au augmentation corporelles dès maintenant…


Une dizaine de minutes plus tard, l’adjudant-chef Mendez entra dans le bureau de Halsey, accompagné des deux spartans de l’équipe Aegis. Si elle n’avait pas su qu’ils avaient affronté les assassins de Damoclès, elle aurait cru qu’ils revenaient d’un exercice de routine tant leurs visages étaient sereins et resplendissant. A vrai dire, elle ne les avait jamais vu aussi heureux depuis qu’ils étaient arrivés sur Reach. Quelque chose avait changé en eux, quelque chose d’important.

Un simple coup d’œil à la manière qu’ils avaient de se tenir la main suffit à la jeune femme pour comprendre ce qui était arrivé. Elle nota ce détail dans un coin de son esprit, ne souhaitant pas traiter de cela pour le moment afin de se concentrer sur les réelles priorités.

- Qui d’autre est au courant qu’ils sont ici ? demanda-t-elle calmement.

- Juste le pilote de notre navette en qui j’ai une parfaite confiance.

- Très bien. Alors à partir de maintenant et jusqu’à ce que j’en décide autrement, ils seront affectés à l’une des cellules d’isolement du CHÂTEAU le temps que l’on prépare la phase suivante.

- Alors vous avez finalement décidé de lancer cela maintenant ? fit Mendez d’un air inquiet. Vous avez obtenu de meilleurs résultats ?

- Non. Les probabilités de pertes sont toujours à 50%, mais nous n’avons plus le temps de faire d’autres expérimentations. Si nous attendons plus longtemps, les conséquences peuvent devenir catastrophiques. Surtout maintenant que Damoclès a décidé de passer à l’action.

Mendez lança subitement un regard noir en direction de Rei. Inconsciemment, Jack se mit aussitôt en état d’alerte, prêt à la défendre si leur chef tentait quoi que ce soit. Depuis le premier jour où elle avait posé le pied sur Reach, Mendez l’avait considéré comme une énorme source de problème, non seulement par rapport à ses origines mais aussi aux menaces extérieures qu’elles pouvaient apporter sur les autres spartans. Mais l’homme ne fit pas le moindre geste envers eux et se contenta de maugréer :

- Je vous avez dit dès le départ que ce projet était une mauvaise idée.

- Ce n’est pas la seule raison qui me pousse à faire cela, adjudant, expliqua Halsey. Les hauts membres du CSNU et de l’ONI ne nous laissent plus le choix eux non plus. Si nous ne déployons pas les spartans maintenant, ce programme sera arrêté d’ici quelques mois à peine. Nous allons commencer à mettre en place le matériel d’augmentation sur la station médicale du SRN, mais entre-temps il nous faut identifier la fuite d’information qui a conduit

Damoclès jusqu’ici. - Là-dessus, 114 a été bien inspirée de capturer cet assassin. Mais je doute qu’il parle facilement.

- Laissez-le passer une nuit dans une cellule d’isolement histoire de le mettre en confiance. Et demain matin, envoyez-lui votre spécialiste pour le cuisiner.

Rei et Jack ressentirent une certaine appréhension en pensant au-dit « spécialiste » de Mendez.

- Vous pouvez partir, fit Halsey à l’adjudant-chef. Je dois encore parler en privée avec ces deux spartans avant de les conduire à leur propre cellule d’isolement.

- Comme vous voudrez.

Mendez jeta un dernier regard lourd de colère sur Jack et Rei qui restèrent parfaitement stoïques, puis il quitta la pièce sans rien ajouter. Halsey se dirigea alors vers la console d’affichage holographique de Déjà et entra le code de mise en veille de l’intelligence artificielle, ne voulant pas lui faire partager la discussion qui allait suivre. Car ce n’était pas le genre de chose qui risquait de plaire au SRN ou à l’amirauté.

La scientifique s’autorisa alors quelques instants de réflexion afin de choisir la meilleur manière de commencer. Puis elle se tourna vers Rei, qui avait sans doute déjà compris le but de cet entretient privé, et lui demanda :

- Comment est-ce que c’est arrivé ?

- Juste après que Jack ait éliminé le premier assassin de l’équipe d’extermination. Nous… nous avons pris conscience de cela subitement, d’un seul coup.

- C’était comme une sorte de révélation, ajouta Jack. Nous avons réaliser cela en même temps.

Halsey n’en doutait pas un instant. Le lien qui existait entre ces deux spartans était si fort qu’il était impossible qu’un tel évènement se produise chez l’un sans survenir immédiatement chez l’autre avec la même force. La scientifique se doutait bien que ce problème risquait d’apparaître un jour ou l’autre, mais elle ne s’attendait pas à ce que cela arrive dans un moment aussi critique que celui-là. Elle avait bien d’autres problèmes à régler désormais...

- Est-ce que c’est mal, docteur ? demanda brusquement Rei avec une inquiétude qui montrait qu’elle était sincère.

- Non, bien sûr que non. C’est juste que… Je veux dire… vous…

- Nous n’étions pas sensés ressentir ce genre d’émotion, c’est ça ? comprit Jack.

- C’est à peu près cela.

Halsey rechignait à l’admettre, mais c’était la vérité : les spartans n’était pas sensés tombés amoureux. Ils devaient être les instruments de guerre les plus parfaits qui ait jamais existé, ce qui signifiait également être préservés de toute émotion qui pourrait les détourner de leur mission. L’attachement était extrêmement dangereux pour n’importe quel soldat.

- Docteur, fit Jack en s’avançant d’un air résolu. Je ne sais pas comment vous appréciez tout ceci, mais je pense que si vous avez voulu nous en parler en privé, c’est que cela doit être plutôt important et avoir de sérieuses conséquences sur notre programme d’entraînement. Cependant avant que vous ne décidiez quoi que ce soit, j’aimerais vous dire une chose.

- Vas-y.

- Jamais je n’aurais réussi à vaincre cet assassin si je n’avais pas tant cherché à protéger Rei, et je pense que cela a été pareil pour son propre combat. Sans ces émotions que vous semblez juger dangereuses pour nous, jamais nous ne serions ressortis vivants de ce bunker. C’est grâce à ces sentiments que j’ai pour elle que j’ai pu me donné à fond et que je continuerai à me donner à fond. Donc je vous en prie, prenez cela en compte lorsque vous prendrez votre décision.

- … D’accord, Jack. Je ne l’oublierai pas. Maintenant je vais vous conduire à votre cellule d’isolement. Suivez-moi.

Le trio quitta le bureau du docteur Halsey et traversa une bonne partie du complexe souterrain du CHÂTEAU avant d’arriver à la zone de détention. Depuis sa création, cette section du complexe avait renfermé à peine une dizaine de personnes liées à des enquêtes du SRN, et aujourd’hui elle allait servir à protéger deux spartans d’une organisation d’assassin, un emploi auquel les constructeurs n’avaient certainement pas imaginé. La scientifique espérait que les nombreux systèmes de sécurité qui entouraient les cellules d’isolement suffiraient à empêcher les agents de Damoclès d’y pénétrer, du moins le temps que le personnel militaire ne les neutralise ou les oblige à se retirer.

Toutes les cellules étaient identiques : elles se composait d’une pièce principale avec un lit et une petite table entourée de deux chaise, et d’une petite pièce annexe contenant un lavabo et des toilettes.

- Je viendrait vous chercher demain matin personnellement, leur dit-elle. Si quelqu’un d’autre se présente, considérez-le immédiatement comme un ennemi.

- Bien compris, madame, répondit Rei en pénétrant dans la cellule.

Jack ne dit rien, mais Halsey lui faisait confiance pour appliquer cette consigne à la lettre. Il prenait son rôle de chevalier protecteur très au sérieux, surtout maintenant que Rei s’était révélée aussi importante pour lui. L’expression qui prédominait sur le visage du garçon était l’inquiétude. Mais la scientifique comprit que ce n’était pas Damoclès qui inquiétait réellement le garçon, mais la décision qu’elle prendrait par rapport à sa relation avec Rei. Lorsqu’elle referma la porte derrière eux, Halsey réalisa qu’elle n’arriverait jamais à décider de séparer ces deux spartans.

De tous les jeunes adolescents qui participaient à ce programme, ils étaient ceux qui lui semblait les plus humains. Ils avaient résisté à l’endoctrinement quelque peu abrutissant de l’adjudant-chef Mendez et de ses instructeurs militaires, et ils avaient développé un lien émotionnel d’une telle force qu’ils lui semblaient même bien plus humains que la plupart des personnes qu’elle croisait habituellement tous les jours. Chaque spartan était une exception dans un domaine particulier, et la particularité de ces deux là était qu’ils avaient conservé leur humanité, ou plutôt que Jack l’avait conservé avant de l’inculquer à Rei.

Tout au long du chemin du retour vers ses appartements privés, Catherine Halsey réalisa à quel point ces deux spartans étaient une réussite sur le plan humain. Ils étaient la preuve vivante que même le conditionnement le plus dur ne pouvait empêcher deux êtres faits l’un pour l’autre de s’unir dans la passion. Cependant, si elle leur appliquait le traitement des augmentations corporelles tel qu’il était prévu, leurs sentiments l’un pour l’autre risquaient de disparaître totalement. Comme l’avait dit Jack, cette relation était leur principale force, et elle ne pouvait pas la leur arracher. Pas seulement parce que cela pourrait les rendre moins efficaces contre Damoclès, mais parce qu’elle détruirait quelque chose de merveilleux, probablement la plus belle chose qui soit issue de ce programme. Elle avait déjà causé tant de souffrance et provoqué tant de malheurs. Elle avait enfin la chance de donner un peu de bonheur à ses spartans.

Et c’est ce qu’elle allait faire.

- Déjà ! lâcha-t-elle sèchement en sortant l’intelligence artificielle de son mode de veille. Accède au fichier AUGMENTATIONS du dossier SPARTAN-II.

- Un instant… c’est fait.

- Maintenant… retire l’implant thyroïdien catalytique de la liste des améliorations prévues pour les recrues 114 et 115.

- Mais… cela les rendra moins résistants et moins forts que les autres sujets. Cela risque de…

- Ce ne sont pas les actions de cette augmentation que je veux supprimer, mais ses effets secondaires. Maintenant si tu ne veux pas le faire, je te supprime complètement et ensuite je m’en charge moi-même, c’est compris ?

- Compris, docteur. Modification effectuée. Mais si je peux me permettre, faites attention à ce que vous faites. Ces spartans ne sont pas VOS enfants.

L’IA avait touché un point sensible : Halsey avait trop souvent le sentiment d’être une mère pour toutes ses recrues, et principalement pour Jack et Rei. Mais elle ne comptait pas revenir sur sa décision : si elle pouvait faire un seul cadeau à ces deux spartans, ce serai celui de leur permettre de conserver leurs amour intact.

Ils allaient rester la plus formidable des exceptions de ce programme : des spartans amoureux.

Posté le : 21/02/2010


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