Veuillez patientez...


DIVERS - Fan fiction

Naissance d'un Spartan - L'incendie

13h19, le 12 juin 2517 (calendrier militaire) / Système stellaire Eridanus, planète Eridanus 2, Elysium City


- Ça craint John ! On fait quoi ? Je veux pas cramer ici ! cria Samuel

- Baby ! Aide Samuel et Gaby ! Faites trois groupes et tenaient vous la main. Et surtout dites à tout le monde de se baisser !

- Mais où est passé le Directeur ? s’étonna Gabrielle.

La surface de duvet enflammé tombé par terre s’étendait rapidement, les poules sautaient à près d’un mètre du sol. Quand elles retombaient, certaines prenaient feu ! L’obscurité étendit son manteau de noirceur. Le spectacle avait quelque chose de grandiose et de cauchemardesque. On aurait dit des grains de popcorn dans une assiette géante qui sautaient, sauf que c’étaient de pauvres poules qui brûlaient vives. Les poules flamboyantes retombaient aussi sur les enfants…


1. LA VISITE

Aujourd’hui : visite de l’élevage DRAREG. Les enfants vont voir de vrais animaux évoluer. En attendant ça discute dur sur les sièges arrières du CityMobil. :

- Ça changera d’ la visite de la station d’épuration la semaine dernière. Commenta Alex.

- Toute façon, t’as rien senti. T’avais l’nez bouché avec ton allergie ! ajouta Adrien.

- Et pi même. Les poules ça pue aussi ! dit "Baby Foot".

- Ça mord les poules ?

John ne put s’empêcher de prendre la parole :

- Comment Alex ? tu sais pas ? mais les morts par attaque de poule sont la deuxième cause de décès sur Eridanus… Certaines crachent même du feu quand elles toussent.

Le silence se fit autour de John. Tous les visages des chérubins avaient des yeux écarquillés et la bouche ouverte.

- T’es sûr, Johnny ?

- Sur tout Eridanus, peut-être pas; mais sur Elysium c’est certain !

- Monsieur ! j’veux pas rentrer dans l’entrepôt ! cria Alex au professeur qui consultait la brochure de l’entreprise.

- La ferme Alex ! chuchota Samuel. « on trouvera bien des bâtons sur place pour se défendre, et puis John sera là pour nous guider. Pas vrai John ? dit-il en accompagnant ses paroles d’un large clin d’œil…

Au moins un qui avait compris la blague, pensa John. – Vous inquiétez pas !

Le CityMobil parvint à l’embranchement de la route qui menait à la destination. Le professeur déconnecta le pilote automatique et prit la main. Le chemin était bourbeux mais la technologie de la supraconduction rendait ce détail insignifiant. Le véhicule « planait » quelques centimètres au-dessus de la boue. L’enseignant réenclencha le pilote automatique à l’approche du parking pour que le véhicule fasse lui-même la manœuvre idoine pour le créneau. Asthmatique incurable, il espérait que les poussières dans le bâtiment ne l’étoufferaient pas trop…

- On descend dans le calme les enfants, on ne crie pas pour ne pas effrayer les poules !…

Tous les maîtres d’école de toutes les écoles des mondes-colonies devaient dire cette phrase, pensa John. Les enfants et le calme, ça va pas ensemble. Les enfants et les cris ça oui !

Le Directeur alla à la rencontre du groupe, sa blouse portant quelques traces rouges. Il a du se faire mordre, pensa Alex dont le ventre gargouillait.

- Tout d’abord bonjour. Vous allez rentrer dans un lieu extrêmement sensible à certaines perturbations. Vos cellulaires seront donc désactivés et entreposés dans cette salle là-bas durant la visite ; mais je pense que vous attendrez d’être de retour chez vous pour raconter la visite à vos familles, souria-t-il. Posez toutes les questions que vous voulez.

- Vous avez déjà été brûlé M’sieur ?

- Tu parles de quoi mon p’tit bonhomme ?

- Ben des poules qui crach… Une main bâillonna Alex et l’entraîna à l’opposé du Directeur qui était déjà assailli de questions…


2. L’ELECTION

…lors de l’élection du représentant de classe, John n’avait pas voulu se présenter. « Mon père est représentant syndical, il est pas souvent à la maison le soir et je vois bien que maman s’ennuie… et moi aussi. Quand je serai grand, je veux pas être un papa " en pointillé " » protestait-il en lui-même. Ses qualités de leader, comme percevoir le potentiel d’une personne quand il avait passé quelques instants avec elle, sa capacité de décision, sa distance vis-à-vis des évènements qui faisait qu’il ne se précipitait pas avant d’avoir tous les tenants d’une situation, sa gentillesse et sa bonhomie, n’étaient pas passées inaperçues aux yeux de son maître d’école.

Devant de telles aptitudes, quelqu’un ne connaissant pas John, jurerait qu’il a au moins le double de son âge. John était ce qu’on appelle un enfant précoce ou un surdoué. Son QI de 146 le prédisposait. Son système de pensée différait des autres enfants, ses connexions neuronales envisageaient toutes les éventualités, à l’instar d’un joueur d’échec . les synapses de son cerveau recevaient une quantité de neurotransmetteurs qui multipliaient le processus décisionnel. Son association d’idées – c’était là son point fort – mettait en place des stratégies d’actions et des choix décisifs.

Cette nomination aurait pourtant été appuyée par une grande majorité des enfants de sa classe, et la fierté de ses parents pour leur " petit bout de chou " eût été la cerise sur le gâteau. Malgré tout, l’esprit gagneur, volontaire et d’être le premier ne correspondaient pas avec la charge d’un poste à responsabilités, même mineures. Pourtant, John ne se détournait pas des conflits entre ses camarades ou dans d’autres circonstances de désaccord. Il accueillait les doléances de chacun pour ensuite tenter une réconciliation ou trouver la solution à un problème.

- Mon père appelle ça la diplomatie de négociation. Il…

- Ton père, il invente des mots pour faire intelligent oui ! ajouta François qui jalousait les facilités de John.

John tenta une nouvelle approche : - Durant les guerres, la diplo…

- Oh ! arrête ! j’y comprends rien. Viens plutôt jouer au ballon avec nous !

John souffrait de cette différence d’avec ses copains de classe. Il se sentait " incompris ". Alors il préférait peu parler pour garder ses amis. Ce trait de caractère de dire l’essentiel en un minimum de mots, resterait une caractéristique de John toute sa vie.


3. LA LEÇON

Les consignes et les exercices d’évacuation en cas d’incendie allaient être bénéfiques. Ce que John apprenait et voyait un fois, était imprimé à tout jamais.

Un formateur d’origine canadienne (cela fait des siècles que ce pays est à la pointe des recherches sur le feu et son alchimie) – chimiste et expert en incendie, s’était présenté aux classes du centre n°119 en début d’année, comme tous les ans, afin de mobiliser l’attention des enfants sur les risques du « Démon ». C’est ainsi qu’il qualifiait son ennemi le Feu. Et si l’on remontait son parcours de vie, on apprenait qu’il avait perdu ses deux parents et une sœur dans l’incendie de leur appartement à Ottawa. Ce drame fut la source indéniable de sa détermination à combattre ce sournois Démon… Avec le même système holographique que rencontreront John et les 65 autres jeunes kidnappés au camp d’entraînement de Reach, quand l’Intelligence Artificielle " Déjà " leur enseignera la bataille des Thermopyles, le formateur canadien leur montrera les dangers du feu.

Pour information, cet homme humble et précieux, était aussi à l’origine d’un protocole anti-incendie, à bord des stations orbitales géostationnaires gravitant autour de la Terre et de certains mondes-colonie.

…Tout comme le soleil terrestre, l’étoile Eridanus avait ses cycles de tâches noires, signe d’une recrudescence d’activité nucléaire. Tous les 17 ans les astronomes observaient ces phénomènes connus, aux risques peu élevés. Un désordre dans les champs magnétiques de la planète survenait durant cette période, sans altération visible sur la vie des côlons au quotidien. Cependant, l’élevage de gallinacés de monsieur DRAREG allait être indirectement le siège d’un nouveau drame à Elysium…


4. LE PÉRE ANDRÉ

…La Jalousie et l’Envie faisant toujours parties intégrantes de l’humain, celles d’André Lima ne connaissaient pas de limite. Les deux réunies auraient bientôt un impact détonant sur l’entreprise d’engraissement des poules. Allez savoir pourquoi, André un voisin du centre d'élevage, était convaincu que son épouse modèle s’était entichée de l’homme d’affaire. La réussite professionnelle du père DRAREG surajoutait à l’excitation destructive et revancharde d’André. Le projet d’une punition avait germé depuis longtemps dans son esprit aigri et perturbé. Militaire retraité du CSNU, il avait fait ses preuves contre l’Insurrection des rebelles de 2494. Il combattit aux côtés du Capitaine Ponder quand celui-ci perdit son bras par un jet de grenade. Ses combats, comme bon nombre de marines, lui laissèrent de sévères séquelles psychologiques. Notamment des troubles à mécanisme interprétatif et à thème de persécution. D’où cette idée saugrenue de l’infidélité de sa femme. Depuis de longs mois il s’isolait dans sa maisonnée.

- Ah ah mon salaud, on va bouffer du poulet grillé avant Noël ! lançait-il.

- Mais enfin de quoi tu parles André ? s’étonnait sa femme dont la gentillesse ne touchait nullement son râleur de mari.

- J’te parle à toi ? va donc faire la cuisine ! le livreur de Cybernet a ramené les courses. Tiens lui aussi, si son pilote automatique pouvait tomber en panne, il irait dans l’décor avec son engin à fusion là ! Ça l’ferait marcher un peu. Feignant !


5. À L’INTÉRIEUR

Les enfants entrent religieusement dans l’enceinte. La cacophonie règne en maîtresse absolue. Des milliers de volatiles comme des spores de Floods inondent les jambes des enfants, dont l’instinct de survie et le peu de courage spontané, les fait se regrouper naturellement. Alex est au centre, les poules cracheuses de feu sont à distance. – Ici je suis à l’abri des flammes. Pensa-t-il… L’humour de John pouvait se révéler terriblement efficace.

Les enfants sont maintenant au milieu de la grande salle. Certains se retournent pour voir la distance les séparant de la porte principale. Il semble qu’Alex ne soit pas le seul à avoir été alarmé par les propos de John.

Tels des gladiateurs face aux fauves de la Rome antique, les enfants vont affronter la myriade de becs et de plumes. Leurs narines expérimentent des voluptés de senteurs, pas trop éloignées du contenu de leurs couche-culottes d’il y a quelques années…

Devant eux, le guide leur ouvre la voie. Le Directeur leur parle de sa passion de son travail et de sa fierté d’offrir à ses clients, une viande de la meilleure qualité possible.

Au même moment, le père André a mis fin à son isolement. Il a chaussé ses bottes du CSNU, que le Conseil de Sécurité lui a généreusement permis de garder pour son départ en retraite, et il est sorti. Il se trouve déjà près de la cloison du bâtiment derrière laquelle court le trésor sur pattes de son rival. C’est décidé, DRAREG va avoir chaud aux fesses…

Douze ans d’armée dont cinq longues années au Groupement d’Ingénierie Electronique. Avec ce bagage, ça devient facile de détourner des digicodes. André n’a aucun mal à shunter la sécurité et pénétrer à son tour dans la structure par la porte du magasin et de la réserve céréalière, au sous-sol.


6. À L’EXTÉRIEUR

Pendant ce temps, les vents Eridaniens transportent leurs charges électromagnétiques à travers l’espace, vers la planète. Les vagues d’ondes sont à leur paroxysme. Ici ou là sur la planète, des centres-opérateurs de téléphonie rencontrent des coupures système de quelques microsecondes, sans gravité. Les bases militaires ont depuis longtemps su se protéger de ce genre d’attaques, mais certains hôpitaux ont du faire usage de leurs générateurs de secours. Les mini-drones de surveillance au-dessus de la ville d’Elysium poursuivent, quant à eux, leur ballet incessant. Rien pour l’instant, aucune information de dangerosité ne vient commuter leur système d’alerte.


7. L’INCENDIE

Le cocu imaginaire est devant le tableau de commande qui autogère l’installation, et il sait quoi faire pour transformer la couveuse géante en fournaise. Il a déjà pris soin de couper les systèmes de caméra de surveillance; pas question de laisser de traces. Aucune hésitation dans ses gestes quand il manipule les accumulateurs d’énergie : sa pensée est concentrée, sa respiration contrôlée, comme lors des batailles où le tireur d’élite émérite qu’il était manquait rarement sa cible. Il coupe, il raccorde, il transmute, quand soudain…

Les ondes parvinrent sur la planète, frappèrent l’installation du bâtiment. Ordinairement la technologie du programme sécuritaire anti-feu pouvait gérer sans encombre et résister facilement à ce genre d’intempérie. Monsieur DRAREG avait dépensé sans compter pour la sécurité de son élevage. Pourtant l’imprévisible se produisit…

Les lampes halogènes à basse température placées tous les 3 mètres sur les couveuses excentrées eurent une surtension. Sans l’intervention et les modifications de cet imbécile d’André, cela ne serait JAMAIS arrivé. Celui-ci n’avait pas terminé ses préparatifs que déjà les centaines de diodes luminescentes éclataient simultanément. Les fluides contenus dans les gazines (sorte d’ampoule) s’échappèrent, et au contact de l’air créèrent un cocktail d’échanges gazeux qui généra l’aspect d’une fumée verdâtre. La paille traitée et pourtant ininflammable sur laquelle reposaient les œufs, vit la température dangereusement s’élever. Des arcs électriques parachevaient le tout, passant de lampe en lampe, transperçant la paille pour rejoindre le sol. Comme des éclairs miniatures.

Immédiatement le Directeur du centre qui avait pris la mesure de la gravité des choses, actionna le système de ventilation, il écrasa au passage les pattes des poules qui redoublaient de caquètements. Le système était inopérant. De même les aérations hautes latérales restaient fermées. Il courut vers une issue différente de celle de l’entrée, d’autres poules furent écrasées, mais les digicodes des portes de secours ne répondaient plus. Plus rien ne fonctionnait. Comble de la situation, les enfants avaient été dépossédés de leur cellulaire au début de la visite. Aucun moyen de communiquer avec l’extérieur. En bon élève donnant l’exemple, le Directeur avait aussi laissé le sien dans le salon des invités. L’addition des ondes Eridaniennes et le zèle du père André, avaient également provoqué le blocage des serrures de cette porte là.

Les animaux furent pris d’une frénésie collective. Leur instinct avait senti le danger. Si le terme de mort ne signifiait rien pour eux, leur ADN voulait vivre, s’échapper pour vivre.

La masse grouillante se modifiait rapidement, comme des vagues sur les rochers les poules se percutaient et partaient toutes dans des endroits différents. Les flammèches s’échappant des tubes halogènes retombaient sur la paille, retombaient au sol, enflammant par endroit le duvet des jeunes plumes abandonnées à terre après quelques disputes de gallinacés.

Le groupe d’enfants autoalimentait sa peur avec les cris des uns et des autres. Garçons et filles se blottissaient l’un contre l’autre. La somme de leurs larmes n’eut pas suffi à éteindre un tel incendie à venir. Alex, plus petit que les autres, toujours au milieu ne voyait rien ou presque.

- Ca y est ! elles crachent le feu ! faut partir, faut partir !

- Ducon ! piailla son voisin, Et ta mère elle crache du feu ?

- Ma mère elle te fera plus de gâteaux quand tu viendras à la maison !

- Faut pas rester ici, dit une fille.

- Bien sûr que non, dit Gabrielle. Ça va aller vous tous ! Restez calmes.

Les enfants étaient tétanisés. Les paroles rassurantes ne servaient à rien. Mais au moins ils restaient tous ensemble. Le stress – et la poussière qui n’arrangeait pas les choses - provoquèrent une crise d’asthme au maître ventripotent qui n’en menait pas large, mais en temps qu’adulte sa position lui conférait des obligations. Abandonnait les enfants ? Il n’y pensait pas une seconde, mais rien ne l’avait préparé à une telle situation. Pas même la leçon anti-incendie du début d’année scolaire. Son sang s’inondait d’adrénaline pour qu’il puisse ne pas fuir comme il l’aurait fait dans d’autres circonstances. John avait vite compris que l’adulte ne serait pas à la hauteur. Mais il ne pouvait pas se passer d’une force physique supérieure à la sienne. Sa taille aussi pouvait servir. John allait lui donnait des ordres clairs sur un ton péremptoire. Il fallait que ça marche. "Après tout, si il y a des jeunes généraux qui commandent des soldats plus vieux, c’est que c’est pas l’âge qui compte".

- Monsieur ! cria-t-il pour se faire entendre, faut aller casser la porte principale !

- Laisse moi réfléchir John. Je regroupe les enfants. Viens avec moi.

- Non ! Samuel et Baby s’en occupent. Cassez la porte ou on meurt tous ici ! je veux revoir mes parents ! …John faisait l’expérience de la peur, il perdait presque le contrôle, au plus profond de lui : la solitude existentielle et la triste vérité que notre temps était compté. Qu’une vie se consumait comme un claquement de doigt. Que lui aurait dit son père s’il avait été là ? Quelles paroles secourables ? …peut-être : « quand on cherche on trouve ».

Le maître considéra l’ordre de John, accepta et se dirigea vers la porte d’entrée. Derrière la vitre composite et incassable il vit le parking, la campagne, les arbres, la ville au loin, et ce ciel bleu si bleu. Il asséna des coups de pied, sans succès. Pas de hache, pas d’extincteur à proximité. De toute façon, le feu était maîtrisé depuis longtemps par l’arrogance des Hommes. Les extincteurs se faisaient de plus en plus rares. Le professeur était à 20 mètres du groupe, toussait de plus en plus, les fumées devenues toxiques pénétraient ses poumons et colmataient peu à peu ses bronchioles. Il ne parvenait plus à expirer. De plus il restait debout et ça, c’était pas bon du tout. La fumée s’épaississait, John se souvenait des recommandations, l’air est plus respirable près du sol :

- Monsieur, baissez vous ! … Le conseil n’atteignit jamais les oreilles du professeur. Une minuscule plume de duvet alla se ficher dans son arrière gorge. La panique lui fit monter brutalement son rythme cardiaque. Bientôt, l’hyperventilation qu’il ne maîtrisait pas lui provoqua un évanouissement. Il s’affala bientôt au milieu des poules, en écrasant quatre d’un coup.

- Le prof est mort ! Il est mort ! cria hystériquement quelqu’un.

- Non ! sûrement évanoui, protesta un autre.

Le mot le plus entendu durant ces minutes d’angoisse intense était : « maman ! ». Comme une ritournelle il était lancé comme une prière aux milieu des larmes, comme d’autres prient leur Dieu.

Samuel, "Baby Foot", Gabrielle, et John semblaient être les seuls à ne pas paniquer. Peut-être inconscients du danger. Ou au contraire trop réalistes, leur ADN à eux aussi voulait survivre plus que d’autres. Leur professeur aurait appelé ça "la sélection naturelle". Il gisait à terre, le visage bleui dans les excréments des poules qui lui passaient sur le corps à toute vitesse. Rien ne prouvait qu’il était mort. Le contraire non plus.

Les couveuses décrivaient un cercle autour de l’arène, comme les tribunes d’un stade, le feu partait donc de tous côtés. Les poules ne savaient où aller et devenaient agressives. Les coups de bec pleuvaient sur les jambes des enfants. De petites traces de sang apparaissaient…

- Vite ! Ceux qui ont pris de l’eau dans leur gourde, mettez la sur des mouchoirs, mouillez une partie de vos vêtements et protégez la bouche et le nez ! …de ça aussi il se souvenait du cours du secourisme, même s’il n’avait pas très bien compris le pourquoi de cette démarche.

- Défendez-vous, ajouta Samuel. Repoussez les poules ! Et cachez vos cheveux longs, sinon vous allez brûler.

- Le Directeur, où est le Directeur ? s’inquiéta John. Quelqu’un le voit ?

- Il s'est barré de l'autre côté, dit un jeune garçon.

- John il faut bouger , gémit Samuel.

-Oui, oui ! je réfléchis ! On voit de moins en moins. Il faut se rapprocher de la porte, il faut trouver quelque chose pour la frapper. Et restez accroupis en marchant !

- faut trouver le plan d’évacuation, comme à l’école, proposa Gabrielle.

- Faut trouver des extincteurs ! Ça doit pas être difficile à s’en servir…

- On n’a plus le temps ! Il faut… Aah ! saloperie de poule ! Elle m’a bouffé le nez ! dit John en colère. La Colère qui avait supplanté la Peur, et le Doute. Revenir à la porte n’était pas une si mauvaise idée. Sur les 4 murs, seul celui de la porte d’entrée ne comportait pas de couveuses. Donc pas de flammes grimpantes. Pas de flammes du tout à vrai dire. On pourrait écraser le duvet qui se consumait . Fort heureusement, il n’y avait pas de courant d’air.

Six ans et demi, sept ans pour les plus vieux… Aucun des enfants, pas même John, n’imaginait ce qui pouvait se passer à tout moment. Les poussières en suspension à cause du piétinement des enfants, allaient devenir des milliards de petites bombes dès que la température allait atteindre un certain seuil. De la même manière que plein de petits bouts de papier s’enflamment plus vite qu’un morceau de papier serré en boule… les enfants se tenant la main devaient avancer sans se précipiter, ils passèrent à hauteur du corps du professeur. Cette fois c’était sûr, il devait être mort. Les enfants avançaient encore, des poules près de ce mur s’agitaient par dizaines, mais d’une autre manière. Elles creusaient. La terre était dure et tassée mais il y avait une chance.

- Mais oui creusons ! Creusons tous ensemble, au même endroit ! se réjouit Baby Foot.

- D’accord, allez-y ! attention aux poules ! dit John. Tout en disant cela, il réalisa le goût de poulet grillé dans sa bouche, il salivait. C’est quelque chose qu’il ne contrôlait pas. Son esprit était en ébullition pour trouver une solution rapide et efficace. S’étant retourner il vit des centaines de poules gisant mortes , d’autres voletaient encore, le bruit des poules agonisantes n’avait jamais cessé. Elles brûlaient sur pied et communiquaient leur enflammement à leurs congénères. Les enfants ne criaient plus, les plus téméraires creusaient avec leurs doigts ou des stylos, des peignes, des objets solides provenant des poches intérieures de leur vêtements.

Pendant ce temps les flammes se nourrissaient de l’oxygène ambiante, et du carburant des plumes et de la paille. Le feu se propageait le long des murs. À 2000 mètres d’altitude les mini-drones percevaient enfin la source thermique anormalement élevée dans le secteur 49. L’alarme fut donnée dans le dixième de seconde qui suivit.

…André avait emprunté un escalier menant à l’étage du dessus, en montant il entendait l’affolement des poules fourvoyées dans un espace clos. Sous le seuil de la porte, sans l’ouvrir, il put apercevoir la rougeur des flammes et imaginer les morts par asphyxie derrière la cloison. Sa vengeance était complète. Il fit prestement demi-tour, redescendit l’escalier sans imaginer la présence des enfants que les bruits aigus des bestioles dissimulaient. D’ailleurs il se trouvait à l’autre bout du bâtiment. - Qu’est-ce que tu fous là, fumier ?! le Directeur s’était rendu en toute hâte au sous-sol pour actionner l’interrupteur principal. Il tombait nez à nez avec André.

- Mais qui êtes-vous , Que faites-vous avec ces outils ?

- J’vais t’arracher la gueule comme tu fais avec tes poules ! Mais qu’est-ce qu’elle te trouve ma Colette, t’es même pas beau. C’est le fric hein ? c’est ça, c’est le fric !

L’heure n’était pas à la discussion. Le Directeur n’avait qu’une priorité : défendre sa vie qui était sérieusement menacée. André, aveuglé par sa jalousie maladive, fonça sur l’amant désigné. Ce dernier l’évita prestement et le poussa énergiquement dans les sacs de céréales. Un pelle se trouvait là. Sans hésitation il s’en saisit et frappa une seule fois au visage. Le père André ne bougeait plus… Le propriétaire des lieux se précipita vers le gros interrupteur général qu’il abaissa. Dans l’urgence il voulut retourner en haut avec les enfants et les amener ici pour les mettre à l’abri de la chaleur, en attendant les secours qui ne tarderaient pas. Mais il vit que l’accès qu’avait emprunté cet individu allongé devant lui, était resté ouvert. Il empoigna l’inconnu dont le sang coulait faiblement de son oreille gauche et tira son agresseur vers la sortie, l’éloignant du sinistre. Il fit encore une dizaine de mètres à l’extérieur et le déposa, puis il courut chercher les enfants. En haut de l’escalier la fumée avait envahi le pallier et la chaleur extrême empêchait d’aller plus loin. Il redescendit donc. A la recherche d’une solution.

Dans la salle principale, John se précipita à son tour vers la porte vitrée. L’extérieur était derrière. Leurs familles étaient à quelques kilomètres. Il tapa du poing de rage. Il hurla. Cela ne le fit pas aller mieux.

- Ne pas s’énerver, ne pas s’énerver. Se répétait-il. Il prit une longue inspiration en filtrant l’air à l’aide de sa manche humide. Il regarda à nouveau à travers la vitre incassable… - Mais oui, mais bien sûr ! Un rayon d’espoir traversa l’esprit de John. Il repartit vers le corps du professeur avec beaucoup d’appréhension.

- Tu vas où John ? cria Samuel. Le futur héros balançait des coups de pied sur les bêtes affolés, se pencha près du corps, et fouilla ses poches.

- Mais tu trouveras rien, lui aussi a donné son cellulaire au Directeur. On est tout seul !

- C’est pas ça que je cherche, cria John. Il retournait les poches apparentes. Puis il dut déplacer le corps. Alors il ferma les yeux tandis qu’il faisait rouler le professeur. Il ne voulait pas voir son visage bouffi et terreux et le garder en souvenir toute sa vie : - Ch’uis désolé M’sieur ! j’ai besoin de votre transpondeur de démarrage. John récupéra cette sorte de clé qui permettait d’actionner à distance le CityMobil.

Il reposa délicatement le corps puis retourna vers le groupe.

- Écartez vous du mur tous ! dégagez de la porte !

Il dirigea la télécommande vers le véhicule. Il avait déjà vu faire ça maintes fois par son père, sa mère, le professeur, et d’autres personnes. Il actionna une des touches sensitives, ce qui eut pour effet d’ébranler la machine. Grâce au créneau qu’il avait effectué automatiquement, il se trouvait maintenant face à la porte, un mètre sur la gauche par rapport au digicode. En déplaçant le pouce sur le pavé proprio-réceptif vers lui, il fit déplacer en ligne droite le gros véhicule. Cela lui semblait facile. Les enfants qui pressentaient leur libération lançaient des cris de joie, tout en continuant de repousser les poules effarouchées. La structure faisait entendre d’étranges craquements dus aux déformations des tôles par le feu. Mais tous les regards visaient l’extérieur.

- Ecartez vous, et protégez vos têtes !

Malgré une vitesse faible inférieure à 6 kilomètres par heure, le véhicule de transport percuta la porte qui bougea, se gondola , entraînant un peu les dormants du mur, mais ne s’ouvrit pas. Les visages des enfants redevinrent sérieux.

– Ne bougez pas, restez en arrière ! dit John. Une poussée sur le doigt vers l’arrière et le véhicule recula . John entreprit un nouvel essai. Le CityMobil percuta la porte au même endroit, la faisant céder cette fois-ci.

Des poules à demi-brûlées et les enfants verdis par les fumées se faufilèrent sans attendre à travers les débris. Gabrielle releva sa voisine qui avait trébuché et presque piétinée par ses camarades de classe. John sortit le dernier. C'est alors qu'apparut le Directeur qui avait fait le grand tour du bâtiment. A la vue des enfants il s'agenouilla brutalement dans l'herbe et poussa un soupir de soulagement. Puis il releva la tête immédiatement :

- Vous êtes tous là ? il ne manque personne ? tout le monde est sorti ?


............


- Monsieur ! Aucune perte humaine, Monsieur !... John -117 remontait le champ de bataille vers le Général. Tout autour, les Jackals morts brûlés par les grenades incendiaires, laissaient échapper une odeur de poulet grillé… Mais cette fois, John ne salivait pas.

Posté le : 02/07/2009


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