Veuillez patientez...


DIVERS - Fan fiction

La mort de chaque jour

La plupart des fanfictions de Halo racontent les faits héroïques de personnages charismatiques où les scènes de combats s’enchaînent rapidement et où l’histoire doit avancer sans temps mort. En effet, il faut maintenir le lecteur en effervescence.

Avec cette fanfiction – ainsi que la suivante : Le Jour se Lève, j’ai voulu voir ce qu'il se passait lorsqu’on arrêtait le temps. En effet, au lieu de développer une histoire aux nombreuses péripéties, j’ai suspendu le temps tout en prenant le temps de voir ce qu’il renfermait. Pour être plus clair, ces deux histoires racontent les errances de personnages qui semblent eux-mêmes hors du temps qui les entoure, leur permettant d’en extraire plus facilement l’essence même.

Ici, dans cette bataille un peu étrange, l'occupation du terrain est le but de la manoeuvre et l'infanterie reste la reine des batailles. C'est donc l'enfer quotidien pour les combattants. Pour leur permettre de supporter ce cauchemar, il faudra, selon les paroles de Shakespeare dans Macbeth, "donner des soins à l'esprit malade, arracher de la mémoire les racines du chagrin, effacer les troubles du cerveau grâce à un doux antidote dispensant l'oubli", et en somme apporter aux malheureux "la mort de chaque jour".

Partie 1


C’est vers le crépuscule qu’ils commençaient à se rendre vaguement compte de la longue durée des combats et de l’intensité de leur lassitude. Sous les emplâtres en matière plastique et les pansements parfumés, leurs blessures se mettaient à empester. Ils pointaient leurs fusils d’assaut avec plus de négligence, ils échangeaient à peine un mot de temps en temps. Leur respiration se faisait plus courte. La thérapeutique de la veille au soir perdait graduellement de son efficacité.

Cela paraissait toujours terrifiant ; et dès lors que le soleil se couchait - à l’heure de la relève - ils se hâtaient de quitter le poste d’artillerie, en béton armé gainé de plomb, pour les paliers inférieurs de la ville.

Là les attendaient les soins dont ils avaient besoin. Là, les combattants trouvaient des médecins, des calmants, des anéantisseurs de mémoires : l’hydrasicilline. De surcroît, à la fin de chaque séance, ils recevaient deux capsules de tricelline qui devaient leur assurer sept heures de sommeil sans rêve.

Denton ne soupirait pas moins que les autres après son répit, ce soir. La journée avait été dure, avec quelque chose de bizarre qu’il ne réussissait pas à définir exactement. Les Covenants avaient pris les quartiers nord et ouest de New Wellington avec une rapidité déconcertante. Les Banshees avaient rasé les dernières poches de résistance à coup de bombe à plasma. Une véritable boucherie.

Pourtant, tandis qu’il s’éloignait de son poste en boitillant, il hésita. Miriam, son amie, avait été récemment grièvement touchée lorsqu’un vaisseau Covenant s’était écrasé dans le quartier des affaires. Elle lui avait toujours été chère, bien qu’il n’eût guère le temps de lui rendre visite depuis lors. Elle se trouvait à l’hôpital depuis… voyons, cela devait faire trois jours maintenant. Il n’arrivait pas à se rappeler précisément quand elle avait été blessée. Bien sûr, elle reprendrait son activité dans un jour ou deux. Mais il avait envie de la voir ce soir.

Il pouvait y aller après avoir eu ses soins. Il serait reposé. Mais il sentait qu’il désirait la voir avant d’être reposé et remis d’aplomb.

Il irait tout de suite.

L’escalator avait été endommagé par un raid de vaisseaux Spirits la veille ou l’avant-veille. Les canonniers durent descendre deux étages avant d’en trouver un encore en état de marche. Denton les suivit, mais au second palier, il emprunta une galerie perpendiculaire qui descendait vers le quatrième palier, là où était l’hôpital.

Il ne faisait pas encore complètement nuit. De longs rayons de lumière fauve tombaient des paliers supérieurs, aux croisements, et de lourdes particules de poussière y dansaient fébrilement. Denton fut étonné de la rareté des passants dans la galerie. L’évacuation des civils avait dû être plus massive qu’il ne le pensait.

Il s’arrêta chez un fleuriste, au coin de l’hôpital, avec l’intention d’acheter un bouquet. On apporte toujours des fleurs à un malade. Mais il n’y avait personne dans la boutique, et les fleurs des vases en métal n’étaient plus que des touffes de fibres incolores et desséchées. Elles avaient l’air de se trouver là depuis un moins un mois. Dans la vitrine, les roses étaient réduites à l’état de masses brunâtres.

Dommage.

Il soupira et se mordit la lèvre. Les douceurs de la vie, voilà une des choses pour lesquelles ils luttaient. Et, en outre, il aurait voulu offrir à Miriam un brimborion quelconque. Mais quand une guerre commence, on est bien obligé de se passer de certaines choses.


Il y avait un employé au bureau de réception de l’hôpital. Denton fut étonné de s’en sentir surpris. N’avait-il pas supposé qu’il aurait affaire à un employé ? Mais l’homme maigrichon à la barbe hirsute lui indiqua sans difficulté où était Miriam.

Il s’engagea dans le couloir faiblement éclairé qui conduisait à la salle F-7. L’odeur particulière des hôpitaux lui monta aux narines. Il s’y mêlait une autre odeur, lourde, écœurante, qu’il n’arrivait pas à identifier. Il ouvrit la porte de la salle.

Elle contenait quatorze lits, mais pour autant qu’il pouvait en juger, deux d’entre eux seulement étaient occupés. Bon, cela signifiait qu’il n’y avait pas eu trop de blessés. Il avança lentement vers le lit de droite, où il croyait reconnaître le profil de Miriam sur l’oreiller. L’éclairage laissait à désirer.

-    Miriam ? demanda-t-il.

Tout le côté droit de sa tête disparaissait sous les bandages. Au bout d’un instant, elle dit :

-    Oui ?

-    C’est moi, Dick. (Il tira une chaise près de son lit.) Comment vas-tu, chérie ?

Il eu l’impression qu’émanait de son lit une partie de l’odeur écœurante.

Elle se tourna vers lui.

-    Dick ! Te voilà enfin.

Il fut surpris.

- Enfin ? Voyons chérie, cela ne fait que deux jours de passé au maximum.

- C’est ce que tu penses, hein ? (Elle eut un petit sourire) Tu as probablement eu ton traitement, alors. Non, je suis couchée ici depuis plus d’un mois. J’ai cru que tu ne viendrais jamais.

- Mais…

Mieux valait changer de sujet.

- Est-ce qu’on prend soin de toi ?

A peine posée, la question lui parut dangereuse.

- Plus maintenant, répondit-elle d’un ton morne. Plus depuis la fin de la première semaine. Je suppose qu’on estime que ce n’est plus nécessaire.

Il s’agita avec gêne sur sa chaise. Elle devait se monter la tête. Et pourtant, cette odeur lourde…

- Est-ce qu’il y a une pénurie de personnel ? s’enquit-il.

- Je n’en sais rien. Les infirmières ne mettent pratiquement pas le pied ici. J’ai l’impression qu’elles ont peut-être été transférées au service de traitement des combattants… Je n’arrive pas à croire que tu es bien ici. Je ne pensais pas que tu viendrais.

- Et pourquoi ne serais-je pas venu ? demanda-t-il avec une certaine hésitation, heureux d’avoir un sujet de fâcherie.

- Oh ! A cause du traitement. Je connais l’effet de la thérapeutique des combattants. J’en ai subi ma bonne part quand j’étais encore en service actif.

- Tu n’as plus de traitement ? questionna-t-il, bouleversé.

- Non. Il y a même des jours où l’on ne me donne pas à manger. Et des jours où je ne peux même pas garder mon lit propre. Pourquoi gâcherait-on un traitement en mon honneur ? Je ne fais plus partie des combattants. Je vais…

Sa voix s’éteignit. Mais il devina, avec un choc au cœur, douloureux et indigné, ce qu’elle avait été sur le point de dire.

Oh ! Pourquoi s’était-il rendu directement ici en quittant son poste ? Il aurait dû avoir son traitement, ou du moins une pilule calmante, avant d’aller la voir. Il aurait alors comprit que ses paroles n’étaient que maussaderies de malade. Les malades se plaignent toujours, ils s’estiment toujours mal soignés. Mais quoiqu’il ne soit, ce que disait Miriam rendait un son terriblement réel. Et au fond de lui-même il avait peur de continuer à l’écouter, peur de l’entendre déclarer quelque chose de pire encore que d’annoncer qu’elle, sa bien-aimée, allait… qu’elle allait…

- Non, sûrement pas ! s’écria-t-il. Tu ne vas pas…

- Pourquoi non ? répliqua-t-elle presque avec humeur. Beaucoup sont déjà morts.

- Il n’y a qu’une autre maladie ici. Qu’est-ce que tu veux dire ?

- La salle était pleine.

- Comment ? Quand es-tu arrivé ? Il n’y avait pas tant de blessés que ça. La guerre ne dure que depuis quelques jours.

- Parler me fatigue, répliqua-t-elle en fermant les yeux. Tu as eu des anéantisseurs de mémoire. Je ne m’attends pas à ce que tu me croies. Mais la guerre est commencée depuis plus de dix ans.

Il la contempla, ahuri. Au bout d’un instant, il repoussa sa chaise. Il ne pouvait pas, non vraiment, il était incapable d’en écouter plus. Cela le terrifiait trop.

- Au revoir, dit-il à haute voix. Au revoir, Miriam.

Elle ne répondit pas.


De nouveau dans la rue, il s’arrêta, hésitant. S’il se dépêchait, il réussirait à atteindre la clinique avant que le service de traitement des combattants ne soit fermé. Et ainsi il se sentirait mieux, beaucoup mieux. Il serait à même de juger à quel point Miriam se montrait déraisonnable.

… Il ne l’avait même pas embrassé. Il ne lui avait même pas dit qu’il voulait qu’elle guérisse vite…

Il se mit en marche. Il savait qu’il aurait pu emprunter une navette de transport, mais il persista sur le trottoir. Bah, peu lui importait d’arriver tard à la clinique, il aurait toujours des somnifères. Après une bonne nuit, il retrouverait son état normal.

Comme la ville était déserte !

Il faisait entièrement noir. Quelques-unes des balises fluorescentes s’étaient allumées. A la douce lueur argentée qui émanait d’elles, comme un éclair de lune dilué, Denton vit que les boutiques étaient barricadées avec des planches, ou bien démolies par les tirs de plasma des Covenants, ou encore livrées, vide, à l’abandon. Il n’y avait plus une âme dehors. Ses pas rendaient un son creux et léger.

Il passa devant un magasin d’alimentation. Lui, au moins, était éclairé. Mais il n’y avait que deux ou trois personnes à l’intérieur. Cela prouvait avec quel soin on avait procédé à l’évacuation des civils.

Ses blessures, en particulier celle de la cuisse, commençaient à le faire souffrir. Il serrait les dents quand il était obligé de contourner des tas de pierrailles. Puis il se trouva devant un amas si considérable qu’il bloquait la rue. Faire un détour était impossible. Il fallait grimper par-dessus. C’était un tas de briques, de plâtre et de matières plastiques, avec des déchiquetures plates plantées au sommet qui, d’après leurs formes, devaient être des morceaux de verre, encore que si bien enduites de poussière qu’on ne pouvait l’affirmer. Elles devaient se trouver là depuis bien longt…

Il se sentit inondé de sueur. Il se rendit compte qu’il avait très peur. Ce verre devait être là depuis bien longtemps pour être recouvert d’une telle gangue de poussière. Il devait être là depuis…

… près de dix ans.

Denton respira à fond. Il tenta de garder son sang-froid. Bon. Il voulait bien admettre que la guerre durait depuis aussi longtemps que le prétendait Miriam. Admettre que le traitement des combattants les avait débarrassés du souvenir de chaque journée une fois celle-ci écoulée, les laissant dans une perpétuelle illusion de présent, un présent où la guerre venait à peine de commencer et où la victoire semblait n’être qu’une question de jours.

Bon. Était-ce vraiment si grave ? De louables motifs avaient présidé à la mise au point de ce traitement. Il permettait au combattants d’endurer une dose de peur et de souffrance qui, en d’autres circonstances, les auraient anéantis. Il devait y avoir eu des fois - il pressentait vaguement qu’il y en avait eu effectivement - où il avait vu agoniser ceux qui l’entouraient, brûlés par le plasma, souffrant le martyre. Et pourtant, il n’avait pas été ébranlé pas ce spectacle. Il devait en éprouver de la reconnaissance pour cette thérapeutique guérisseuse.

Quoi qu’eussent enduré les Covenants, ils avaient certainement autant soufferts. Le camps de Denton était sûr de gagner. La victoire, maintenant, ne devait pas être lointaine. Quelques jours à peine…

Il prit une seconde inspiration profonde. Tout allait bien, il n’avait pas besoin d’avoir si peur. Il n’avait qu’à se rendre à la clinque des combattants pour chercher ses cachets de somnifères.

Il fit quelques pas. Il s’arrêta. Il comprenait maintenant pourquoi la bataille d’aujourd’hui lui avait paru bizarre. Il n’y avait pas eu d’action du côté ennemi, pas la moindre riposte, à part une courte mitraillade dans la matinée.

C’était sûrement un piège. L’ennemi était malin. Il devait préparer… quelque chose… une attaque massive…

Mais il savait au fond de lui-même que ce n’était pas cela. Le feu ennemi avait été de moins en moins nourri à mesure que les jours passaient. Qui sait, peut-être ne restait-il qu’un seul ennemi vivant ?

Le camp de Denton était sûr de gagner ? Oui, peut-être avait-il déjà gagné. Mais il ne restait plus personne sur qui triompher.

Il escalada en sens inverse la pyramide de gravats. Il avait le cœur battant. Quand il arriva devant l’entré de la gare à navette, il hésita. Non, il irait plus vite à pied. Il se mit à courir.

Personne ne l’arrêta. Passé le second pavé de maisons, sa blessure à la cuisse se rouvrit. Il sentit un filet de sang couler le long de sa jambe. Mais il avait moins mal qu’avant. Il poursuivit sa course.

Partie 2


Quand il atteignit l’hôpital, il tremblait et haletait. Il avait derrière lui une journée de soldat, avec peu de repos et guère de nourriture. Passant devant le bureau d’administration, il s’engagea dans le couloir et entra dans la salle de Miriam.

Le lit occupé auparavant par l’autre femme était vide et dépouillé de ses couvertures. Il n’y avait plus que Miriam dans la salle. Maintenant qu’il était là, il se sentait intimidé.

- Miriam… dit-il.

- Dick !

Elle souleva la tête.

- J’ai eu un bain, reprit-elle. On a emmené ma voisine et on m’a donné un bain… Tu ne m’as pas embrassé en partant.

- Oui.

Il la prit dans ses bras. Elle était beaucoup plus maigre et plus légère qu’il ne se le rappelait, au point qu’il en eut le cœur serré. Et ses cheveux… est-ce qu’elle n’avait pas les cheveux châtain foncé ? Maintenant, ils étaient presque blond cendré.

Elle s’agrippait à lui, riant et tremblant à la fois, avec des larmes qui roulaient sur ses joues.

- Je suis tellement contente que tu sois venu, dit-elle. Je pensais que j’allais devoir rester là toute seule jusqu’à… Tu sais depuis combien de temps tu ne m’as pas embrassé, Dick ? Tu ne t’en souviens pas, j’en suis sûre. Le traitement brouille la mémoire, et chaque jour est le premier, peu importe ce qui n’a pas eu lieu la veille. Mais moi, je me rappelle. Cela fait dix ans.

Il l’étreignit fortement, en songeant qu’à l’époque où ils étaient amants, elle n’avait jamais voulu s’endormir sans le sentir près d’elle. Elle se réveillait la nuit pour le caresser, pour s’assurer qu’il était toujours là. Et voilà qu’ils avaient dormi séparés pendant dix années dans leur étroite couchette de combattants, certain que chaque jour de séparation était le premier.

- Te rappelles-tu cette chanson que je jouais à la guitare ? demanda-t-elle. Celle de l’homme debout sur l’échafaud ? Tous l’avaient abandonné - son père, sa mère, ses frères - sauf sa bien-aimée. Elle lui avait apporté de l’or, elle lui avait payé la rançon, elle l’avait sauvé. Je suis si heureuse que tu sois revenu m’embrasser, Dick. Cela me coûtera moins maintenant de… m’en aller.

Il la déposa doucement sur son oreiller, mais il était furieux.

- Non, tu ne le feras pas, s’exclama-t-il.

- Pas quoi ?

- Ce… ce que tu dis. Attends. Attends. Je reviens.

Il se précipita dans le couloir.


Il eut du mal à trouver un médecin. Les couloirs, les salles qu’il explora étaient vides. Il découvrit une réserve pleine de bazar cassé et réduit en pièces détachées. Il ne croisa pas un seul surveillant en chemin. Et partout où il entrait dans le grand bâtiment mal éclairé, il retrouvait la même odeur lourde de malpropreté et de pourriture.

Finalement, tout en haut de l’hôpital, il trouva la salle d’opération. Elle était brillamment éclairée, la première salle bien éclairée où il pénétrait.

Il s’avança vivement. Un médecin venait de terminer une opération, car il enlevait ses gants et les jetait dans un autoclave tandis que des infirmières poussaient une table d’opération roulante où un malade était attaché.

- Je veux que vous examiniez une malade, dit Denton.

- Je ne peux examiner personne sans une réquisition du CA-77, répliqua le médecin, livide, d’une voix neutre.

Denton était embarrassé. Il avait des armes sur lui, mais elles ne feraient aucune impression sur le médecin, et s’il venait à le blesser, ce serait totalement inutile pour Miriam. Et il savait que le CA-77, en admettant qu’il y ait encore quelqu’un là-bas, ne lui accorderait pas la réquisition.

Il ne lui restait plus qu’à la faire lui-même. L’ascenseur qu’il voulu prendre ne marchait pas ; il descendit en courant les quatre étages jusqu’au bureau d’administration.

Là, pour la première fois, il eut de la chance. Personne n’était là, et il eut tout le loisir de fouiller dans les piles de fiches et de formulaires jusqu’à ce qu’il tombe sur un des bordereaux bleus du CA-77.

Il gomma le nom et inscrivit à la place celui de Miriam, avec son numéro d’immatriculation. Le sexe était bien féminin, quant à la date, elle ferait probablement l’affaire. Ses mains étaient moites. Son cœur cognait contre ses côtes.

Il rattrapa le médecin au troisième étage.

- Voilà la réquisition, dit-il.

Il lui tendit le papier.

Le médecin l’étudia soigneusement. Denton retenait sa respiration. Le médecin lui tendit la fiche.

- Parfait, dit-il. Où est-elle ?

Denton était prêt à s’évanouir de soulagement.

- Venez. Je vais vous y conduire, répliqua-t-il.

Le médecin l’accompagna jusqu’à la salle de Miriam, avançant sans bruits dans des chaussures en plastique. Il prit la feuille de température et l’étudia.

- Le pronostic est défavorable, finit-il par déclarer.

- Peu importe, répliqua Denton. Examinez-la et dites-moi ce qu’il y a à faire.

- Comme vous voudrez.

Sous le regard anxieux de Denton, le médecin rabattit les couvertures et se mit à examiner Miriam. Il lui posa une ou deux questions. Puis il se redressa.

- Elle souffre de liaison dues aux radiations. Voilà pourquoi ses cicatrices ne guérissent pas. Il n’y a rien à faire. Denton resta paralysé un moment. Puis il dit :

- Il doit bien y avoir quelque chose à faire. Un traitement quelconque. On peut certainement tenter quelque chose.

- Un traitement, oui, répondit le médecin. Des doses massives de lauréal sulfhydrylique pourraient l’aider. Mais ce médicament est rare. Il est interdit d’en administrer plus de trois milligrammes à un malade. C’est un médicament de combattant réservé à ceux qui ont toutes les chances d’en réchapper.

Il s’ébranla sur ses jambes.

- Attendez ! Du lauréal sulfhydrylique. Où en trouve-t-on ?

- Pourquoi voulez-vous le savoir ?

- Pour en obtenir la réquisition.

- Il est dans la pharmacie, avec les autres médicaments. Mais vous n’aurez pas de réquisition pour cela.

Le médecin s’éloigna. Denton ne savait plus quoi faire. Un faux ne lui serait d’aucune utilité. La pharmacie devait être fermée. Il ne connaissait même pas le symbole chimique… imbécile ! Il se débrouillerait pour le découvrir.

- Je vais me dépêcher , dit-il à Miriam.

Partie 3


La pharmacie était fermée. La porte était verrouillée. Denton fit sauter la serrure avec son fusil d’assaut. Il pénétra dans la jungle de flacons et de bouteilles.

Il chercha longtemps avant de trouver le médicament qui était rangé sur une étagère basse, sous la fenêtre, dans une boîte marron foncé. Il ne voulait pas se tromper. Il relut l’étiquette :

« Lauréal sulfhydrylique. Capsule. 3 mg. » Oui, c’était bien cela.

Il ouvrait sa poche pour y glisser rapidement la bouteille quand une voix dit derrière lui :

- Qu’est-ce que vous faites ici ?

Il se redressa d’un bond, l’arme au poing. C’était le pharmacien : un homme au visage intelligent usé par le souci. Denton s’écria :

- N’essayez pas de m’arrêter.

- Oh ! Je n’en ai pas envie… Du lauréal sulfhydrylique. Un spécifique des lésions radioactives. Mais il est rationné, un médicament rare.

- C’est pour mon amie. D’ailleurs les attaques Covenants ont cessés. Les combattants n’en auront plus besoin.

- Hem. Vous ne devez pas avoir eu votre traitement pour vous rendre compte de la situation à ce point-là.

Denton se demandait quelles étaient les réactions de cet homme à cet égard. Il répliqua :

- Et vous ? Vous n’avez pas prit de calment non plus.

- Non. Je ne peux aider personne si je suis sous l’effet d’un calmant.

Il prit un flacon sur un rayon et le tendit à Denton qui le surveillait de près, son fusil d’assaut braqué.

- Vous feriez bien d’emporter cela aussi, ajouta-t-il. Si elle est fortement atteinte par les radiations, elle en aura besoin. Où est-elle ? Dans l’hôpital ?

- Oui.

Denton saisit le flacon de la main gauche.

- Je ne vous trahirais pas, reprit le pharmacien. Mais quittez les lieux le plus tôt possible. Quittez même cette planète si vous le pouvez. Les Covenants vont bientôt rasé toute sa surface.

Le pharmacien tourna les talons et se dirigea vers la porte.

- Venez avec nous, lui cria impulsivement Denton.

- Non, je peux encore rendre service à des gens, ici. Mais vous seriez sage de partir.

Il ne s’était pas retourner pour répondre.

- Oui, c’est juste. Merci.


Denton revint auprès de Miriam. Il lui fit avaler deux capsules de lauréal sulfhydrylique et un demi-cachet de codéine.

- Est-ce que tu as eu quelque chose pour manger ? lui demanda-t-il.

- Rien depuis ce matin.

- Je vais tâcher de dénicher des vivres.

La cuisine de l’hôpital n’était guère fournie, mais il découvrit du pain et une boîte d’œufs en conserve qu’il ouvrit. Il rapporta son butin sur un plateau et ils mangèrent côte à côte, partageant un repas pour la première fois depuis des années.

- Miriam… dit-il quand ils eurent fini.

- Oui ?

Elle lui tenait la main.

- Il faut que nous partions d’ici.

Il lui parla du pharmacien.

- Mais… où pourrions-nous aller ? (Sa voix avait perdu son accent désespéré du début. Elle vibrait d’anxiété.) Et les routes doivent être surveillées. Comment est-ce, dehors ?

- Tâchons de gagner une zone neutre. Nous ne savons pas jusqu’à quel point la guerre a été limitée, ni ce qui s’est passé exactement. Nous verrons bien. Quant au voyage… est-ce que tu te sens la force de partir en fauteuil roulant ?

- Je pense… je pense que oui.

Il devinait qu’elle redoutait la souffrance physique provoquée par le moindre mouvement. Il pressa ses doigts.

- Si tu peux te tenir assise, expliqua-t-il, je pense arriver à nous faire sortir par un des conduits horizontaux d’aération.

- Mais, est-ce qu’il n’y a pas de ventilateurs ?

- J’ai la conviction qu’ils ne marchent plus. (Il mentionna les particules de poussières qu’il avait remarqué en venant à l’hôpital.) Quelques-uns des conduits horizontaux sont d’un diamètre suffisant pour qu’on y tienne debout. Rappelle-toi, j’étais ingénieur autrefois. Et ils ressortent très loin des fortifications de la ville, pour amener l’air pur. Je cours chercher un fauteuil roulant.

- Mon chéri !

Il trouva un fauteuil dans la réserve où étaient empilés le bazar. Il entassa sous le siège des boîtes de conserve et une gourde pleine d’eau, puis il le garnit de couvertures et de coussins pour Miriam. Il se munit également d’une lampe torche et de bandages pour les blessures de la jeune femme. Mais il était maintenant si fatigué qu’il fut obligé de se reposer. Il donna deux autres cachets à son amie, puis tira un lit auprès du sien et s’y étendit. Il s’endormit en lui tenant la main.

Partie 4


Le jour n’était pas encore levé quand ils quittèrent l’hôpital. Ils rencontrèrent une infirmière au niveau de la rampe de sortie, mais celle-ci ne tenta nullement de les arrêter. Il y avait un orifice de ventilation à deux pâtés de maisons de là. Denton commença à pousser le fauteuil dans la rue sombre et silencieuse.

Aux trois quart du chemin, il s’arrêta.

- Une minute, dit-il.

Il se faufila entre deux des planches qui bouchaient en partie la devanture d’une boutique.

Avant que Miriam ait eu le temps de s’inquiéter, il revint avec un objet qu’il déposa sur ses genoux.

- Dick ! Une mandoline !

Son visage s’était éclairée. Elle caressa avec douceur le bois lisse de l’instrument.

- Et voilà son plectre, ajouta-t-il en le lui mettant dans les mains.

Ils atteignirent enfin l’arrivée du conduit. Elle était grillagée. Il fit sauter la serrure avec son fusil d’assaut et poussa le fauteuil à l’intérieur, puis il remit la grille en place.

Le trajet était pénible - le conduit était raboteux à l’extrême - mais faisable. Quand il vit à quel point Miriam souffrait des cahots, Denton lui donna un cachet calmant. Ils avaient parcouru à peu près trois kilomètres lorsqu’il comprit qu’ils se trouveraient presque exactement en-dessous du poste affecté à la batterie.

Il hésita. La tête de Miriam dodelinait. Les laisser le répugnait, mais il voulait essayer de voir ce qu’il pouvait faire pour ses hommes. La jeune femme acquiesça quand il lui en parla.

Il la nantit de deux capsules de lauréal et d’un second cachet calmant. Il se faufila à travers le grillage de ventilation qui était lâche en cet endroit, puis il grimpa à pied et par les escaliers mécaniques les quatre étages qui le séparaient de la surface.

Le soleil surgissait de l’horizon. Son équipe venait de prendre son poste, riant, bavardant, plaisantant. C’était un beau jour tout neuf. Pendant un moment, Denton les envia. Ils avaient l’air si dispos et si détendus, le visage lisse et reposé, enduit d’un verni de calme. Peut-être un calme mensonger, une sensation de fausse sécurité valaient-ils mieux que rien. Puis il songea à Miriam qui l’attendait en bas.

Il entendit Terry, son lieutenant, déclarer aux autres :

- Une journée splendide pour commencer une guerre !

Les autres rirent. Denton s’avança et posa la main sur la manche de Terry.

- Terry, il n’y a plus de guerre. Elle est terminée. Tout est fini.

L’autre écarquilla les yeux. Puis il se mit à rire.

- Bon Dieu, Commandant ! Elle est bien bonne ! Attendez que je la répète aux autres ! Quelle bonne blague ! Denton secoua la tête.

- Je parle sérieusement. La guerre est finie. Les Covenants vont bientôt vitrifier la planète depuis l’espace. La guerre dure depuis plus de dix ans.

Terry hésita un moment. Puis il recommença à rire.

- Pour un bateau, c’est un joli bateau… Donovan, tu ferais bien de te dépêcher de charger. Du nerfs, les enfants ! C’est très important de prendre l’avantage dès le premier jour.

Denton parla à Donovan, à O’Connell, à Caragan. Ils lui rirent au nez ou détournèrent les yeux avec embarras. C’était inutile, ils ne voulaient pas l’écouter. Il avait bien pensé que c’était ce qui se passerait. Ils avaient eu leur traitement.

Il se résigna.

Comme il se dirigeait de nouveau vers l’escalier par où l’on accédait à la batterie, il entendit Terry répéter avec entrain :

- Quelle journée magnifique pour commencer cette guerre !

Le calmant avait soulagé Miriam. Elle lui sourit et l’embrassa.

- J’ai accordé la mandoline pendant ton absence. Ecoute, dit-elle.


Laisse aller ta corde, bourreau,

Attends encore un moment,

Je vois venir ma bien-aimée,

Qui a tant chevauchée…


Denton poussa le fauteuil sur la surface inégale et quand Miriam en vint à la fin de la chanson - la réponse à la question angoissée du condamné : « Ou bien es-tu venue me voir me voir pendre en haut du gibet ? » - il se joignit à elle.


Ils chantèrent en cœur :

Oui, je t’ai apporté de l’or,

Oui, j’ai payé ta rançon.

Et point ne suis accourue

Te voir pendre au gibet.


Dans le conduit, l’air semblait maintenant plus frais. Qu’allaient-ils trouver dehors ? Leurs chances ne pesaient pas lourds, Denton le savait. Une malade dans un fauteuil roulant, et une mandoline. Mais il souriait en poussant le fauteuil sur le sol déchiqueté.


FIN

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Posté le : 03/11/2009


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